Béthune

Les ordonnances Macron à l’assaut des salariés de Bridgestone

par Philippe Allienne
Publié le 20 avril 2019 à 22:31

La table ronde réclamée au préfet du Pas-de-Calais par la sénatrice Cathy Apourceau et les salariés de Bridgestone s’est bien tenue le 5 avril. Mais grâce aux ordonnances Macron, les salariés risquent de se voir imposer un accord scélérat de productivité

« Lorsqu’un accord ne recueille pas la majorité nécessaire mais est signé quand même, les organisations syndicales signataires peuvent demander un référendum. A défaut, c’est la direction elle-même qui peut le faire ». Me Stéphane Ducrocq, avocat de l’intersyndicale de l’entreprise béthunoise de pneumatiques Bridgestone commente ainsi la situation qui prévaut actuellement sur le site.

On sait que la direction souhaite mettre en œuvre un accord de performance collective (APC). Appelé "Accord Vision 2021", il vise à modifier l’organisation du travail en permettant un passage des équipes de 5 x 8 à 4 x 8. Cela veut dire que quatre équipes de 140 personnes assureront la rotation de l’usine 24 heures sur 24 et toute la semaine week-ends compris. Deux équipes travailleront l’après-midi et seront relayées par deux autres équipes qui travailleront la nuit.

140 licenciements possibles

Ce type d’accord, qualifié ironiquement de « magique » par l’avocat, est directement issu des ordonnances Macron de septembre 2017. « On en voit fleurir un peu partout en France », dit-il. Dans le cas de Bridgestone Béthune, cela veut dire que si l’on retire une équipe sur les cinq actuelle, la direction pourra licencier 140 personnes sans que cela lui coûte cher. En effet, à partir du moment où l’accord est adopté, les salariés disposent d’un délai de deux mois pour accepter les nouvelles conditions. En cas de refus, ils peuvent être licenciés non pour motif économique, mais pour motif personnel. Autant dire que les indemnités sont réduites à rien, ils ne bénéficient d’aucune aide au reclassement, d’aucun plan social (PSE) même si plus de 10 salariés refusent. Comble de tout, ils ne peuvent aller devant le conseil des prud’hommes pour contester les licenciements.

Pour Me Ducrocq, l’APC est un super machine pour licencier. Et il s’explique : « Cette nouvelle organisation permettra à Bridgestone d’économiser 90 000 heures de travail. Pourquoi ne pas les réinvestir dans l’usine et passer par un accord collectif ? C’est ce qui a été proposé à la direction qui a refusé ».

Deux jours de grève

En fait, l’accord a été arraché grâce à la signature de deux syndicats minoritaires : la CFTC et la CGC. L’ordonnance Macron le permet à condition que les syndicats signataires représentent entre 30 et 50% des salariés). C’était le cas. Précision : les syndicalistes de la CFTC n’étaient pas tous prêts à signer. Conséquence : la direction fédérale est descendue à Béthune et a retiré sa délégation au récalcitrant. On devine que l’intersyndicale (70% des voix aux dernières élections pour l’Unsa, la CGT, Sud et la CFDT) a du mal à avaler la couleuvre.

QUELQUES CHIFFRES : Effectif 1200 à 1299 salariés CA 2017 499 024 900,00 € Capital social : 74 090 600,00 €

« Nous essayons de faire un référé pour invalider l’accord en raison du non respect des règles juridiques », explique Christian Duchâteau. Ce n’est pas gagné. 90% des salariés se sont mis en grève durant jours. « Nous ne pouvons pas accepter un tel accord régressif », dit-il. En fait, la direction et l’intersyndicale sont entrés dans une partie de poker menteur. En effet, l’ordonnance Macron de 2017 prévoit que dans de telles circonstances, les syndicats signataires minoritaires, en l’occurrence la CFTC et la CGC, peuvent demander un référendum d’entreprise sur l’accord de performance collective. S’ils ne le font pas, la direction peut le demander à leur place. Si les salariés se prononcent contre l’APC, ce dernier ne peut s’appliquer et c’est gagné pour l’intersyndicale. Si le « oui » l’emporte, il n’y a plus de recours possible. Un tel référendum demande cinq à six semaines pour être organisé. De son côté, la sénatrice communiste Cathy Apourceau a interpellé la ministre du Travail Muriel Pénicaud sur les conditions dans lesquelles a été adopté l’APC. Elle a promis de réfléchir.

Le pneu chinois moins cher que le tchèque ?

La vente de pneus est directement liée à la vente de voitures neuves. Le prix du carburant absorbe une grande partie du budget d’entretien. Les ventes de pneumatiques restent stables avec une progression globale de 8 % entre 2008 et 2015. En Europe, la France n’assure que 12 % de la production vendue, derrière l’Allemagne et la République Tchèque. 24 sociétés travaillaient en 2014 dans la production de pneumatiques facturant 2,43 milliards d’euros de production la même année. Sur le marché français, les ventes de pneumatiques neufs en remplacement ont baissé en 2017 uniquement sur les voitures de tourisme de 1 %. Le premier trimestre 2018 est marqué par un recul des ventes de 11 % sur le marché des poids lourds. C’est sur ce secteur que la Chine, 6ème importateur en France, est la plus agressive. Entre 2012 et 2018, le nombre d’importations directes est passé de 86051 à 213 910 unités, avec un prix moyen qui sur la même période est tombé de 199 euros à 165, voire 141 euros en 2015. Le prix moyen d’un pneu poids lourds importé est de 200 euros. (chiffres Europool, douanes françaises et Insee)