Mazingarbe

Les salariés de Maxam Tan se sentent abandonnés et crient au danger

par Philippe Allienne
Publié le 26 février 2021 à 10:41

Depuis que le repreneur potentiel, le géant d’explosifs Titanobel, a retiré son offre de reprise de Maxam Tan, l’usine de fabrication d’ammoniac et de nitrate d’ammonium, les salariés vivent un cruel sentiment d’oubli et d’injustice. Ils évoquent aussi un risque grave pour eux et la population.

Rappelant que l’on a affaire à des salariés sérieux, responsables et conscients de leurs responsabilités vis-à-vis de la population, elle Jusqu’en décembre, les autorités préfectorales jouaient le jeu classique de l’accompagnement de repreneurs potentiels et des 73 salariés du site. Ces derniers n’avaient apparemment rien à craindre. L’entreprise avait déposé le bilan et invoquait une insuffisance de rentabilité. Mais après le retrait de l’offre de Titanobel, le 3 décembre, force a été de constater que le groupe espagnol Maxam Corp (la maison mère détenue par le fonds américain Rhône Capital) a tout mis en œuvre pour empêcher les possibilités de reprise. S’agissant de Tinanobel, par exemple, il a refusé de lui assurer un flux de commandes afin de lui laisser le temps de s’assurer une clientèle.

Un vol pour 430 000 euros

Le 13 janvier, le tribunal de commerce de Lille a prononcé la liquidation judiciaire de l’entreprise de Mazingarbe (ex-Grande Paroisse avant la reprise par le groupe espagnol). Mais on sait que le site est classé Seveso seuil haut (ce qui pouvait du reste intéresser des repreneurs comme Titanobel). L’ammoniac et le nitrate d’ammonium servent en effet aux engrais et aux explosifs. La liquidation a donc été assortie avec poursuite d’activité pendant trois mois (jusqu’au 13 avril) afin de vider une sphère de 1 000 tonnes d’ammoniac. Ce sont donc les salariés qui sont chargés de ce travail de sécurisation, un travail dangereux en raison des risques d’inhalation du produit. « La moindre fuite pourrait provoquer des milliers de morts », prévient la sénatrice Cathy Poly-Apourceau dans un courrier adressé le 8 février au président Emmanuel Macron. « Demander à des salariés qu’on a licenciés d’assurer la sécurisation de leur usine pour qu’elle soit liquidée “proprement’’, n’est déjà pas banal en soi », juge-t-elle en s’inquiétant de l’accumulation de tensions et de déceptions des salariés. Cela lui laisse à penser « que tout risque de défaillance individuelle n’est pas à écarter ». attire l’attention du président sur le fait « qu’aucun PSE digne de ce nom n’a été négocié ». L’employeur a juste proposé des indemnités supra-légales de départ et des ruptures conventionnelles sans qu’il puisse y avoir une possibilité de recours. Les salariés ont bien sûr refusé. Par ailleurs, une prime de sécurisation devait leur être versée grâce à la récupération de métaux précieux extraits des résidus de fabrication. Comble de « malchance » : les produits en question, d’une valeur estimée à 430 000 euros, se sont envolés, volés sur le site !

Circulez, il n’y a rien à voir !

De son côté, l’État a changé d’attitude depuis janvier. Il donne singulièrement l’impression de soutenir en priorité les deux administrateurs judiciaires et les deux liquidateurs qui ont été nommés. Or, reprochent les salariés, ces derniers « ne connaissent rien au site où ils ont passé moins de huit heures ». Par ailleurs, le préfet du Pas-de-Calais, Louis Lefranc, menace de réquisitionner les salariés s’ils refusent de poursuivre le travail de nettoyage. Pourtant, les moyens ne sont pas à la hauteur. Dans un arrêté qu’il a lui-même signé, il est précisé que la vidange doit s’effectuer à raison de cinq camions par jour, cinq jours par semaine. Le 4 février, date de sa dernière visite sur le site, Cathy Poly-Apourceau constatait qu’il n’y avait que deux camions par jour. Impossible dans ces conditions de terminer le travail pour le 13 avril. Les salariés devront-ils continuer quand même ? Dans son courrier au président, Cathy Apourceau-Poly pointe également une autre raison expliquant le sentiment d’abandon des salariés. La maison-mère a licencié son PDG, Fernando Iglesias, et s’est mise aux « abonnés absents » depuis janvier. « C’est la tête pleine d’interrogations sur leur avenir personnel, le cœur plein d’une colère noire que les salariés de Maxam Tan doivent vider cette cuve d’ammoniac. Tout doit être fait pour changer cette situation et [leur] permettre de faire leur travail de sécurisation du site en toute sécurité. Monsieur le Président, comment l’État peut-il suppléer à la défaillance de Maxam Corp, et montrer aux salariés sa reconnaissance ? » demande-t-elle en concluant sa lettre. Le président Macron n’a pas répondu. À la place, la sénatrice a reçu un courrier du préfet du Pas-de-Calais, daté du 22 février. Il y souligne que Pôle Emploi a présenté un contrat de sécurisation professionnel (CSP) à l’ensemble des salariés afin de leur permettre un « accompagnement renforcé sous forme de suivi individualisé » et « l’organisation d’un parcours de retour à l’emploi ». Il annonce aussi la mise en place, dès ce mois de mars, d’une cellule d’appui à la sécurisation professionnelle (CASP) pour « appuyer et conseiller les salariés avant l’adhésion au CSP ». On apprend aussi que « le salarié dispose d’un délai de réflexion de 21 jours, à partir de la remise de la lettre de licenciement, proposant le CSP, pour accepter ou refuser la proposition ». Et le représentant de l’État d’assurer que l’ensemble des professionnels des secteurs de l’industrie (chimie, métallurgie...) « qui pourraient offrir des emplois sont mobilisés ». Une formule eut été plus simple : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » La sénatrice, certainement pas dupe de formules aussi creuses, attend une réponse de l’Élysée. Mais à ce stade des échanges, les salariés font savoir que le site ne serait plus assuré en responsabilité environnementale dès le 16 mars, et en responsabilité civile à compter du 1er avril. Face à cette éventualité, les salariés menacent de se retirer dès le 31 mars (lire ci-dessous).

Des jours mal assurés Les échéances des polices d’assurances du site Maxam Tan, à Mazingarbe, prennent fin le 1er avril 2021 pour l’assurance Responsabilité civile et Risque et Dommage Industriel. Celle de l’assurance environnementale cesse dès le 16 mars. Étant donné le contexte, les salariés craignent que le groupe ne renouvelle pas, ou ne prolonge pas, les contrats jusqu’à la fermeture effective du site. Si ces polices n’étaient pas renouvelées, prévient un communiqué signé « les salariés de l’usine abandonnée de Mazingarbe », ceux qui sont présents sur le site quitteront leur poste à 23 h 59, le 31 mars. « À partir de là, plus aucun salarié ne prendra le risque de se rendre à son poste de travail. Le site de Mazingarbe se trouvera alors sans présence physique de ses salariés et surtout sans surveillance de cette fameuse sphère pleine d’ammoniac, le Plan d’opération interne (POI), [c’est- à-dire le plan d’urgence réglementaire prévu par le code de l’environnement – ndlr], ne pourra donc plus être assuré. Il sera donc inenvisageable de réquisitionner le personnel sans leur garantir qu’il sera assuré au minimum pour leur activité professionnelle. »

(Photo : © Google Maps)