183 postes supprimés chez Cargill Haubourdin

« Mettez des visages sur vos chiffres ! »

par Philippe Allienne
Publié le 2 décembre 2019 à 10:30 Mise à jour le 4 décembre 2019

Présente à Haubourdin depuis 1856, la société des produits du maïs, devenue Cerestar puis rachetée par l’Américain Cargill, est gravement menacée. La direction parle de « repositionnement ». Mais les salariés ont beaucoup de peine à avaler la pilule : 183 postes seront supprimés en 2020.

La nouvelle est tombée avec une immense brutalité. « Nous nous attendions à quelque chose, mais certainement pas à ce point  » avoue Dorian Valois, secrétaire du syndicat CGT. Pourtant, apprendront plus tard les salariés, le plan de restructuration se préparait depuis un an. Jeudi 21 novembre en milieu de journée, ils ont vu arriver des vigiles tandis que l’on procédait au retrait des véhicules des cadres sur le parking.

« À 12h30, raconte Dorian Valois, la direction arrive du siège, entourée de gardes du corps. Très vite, la nouvelle va tomber. L’usine serait déficitaire depuis plusieurs années (cinq ans, assure la direction) ». On leur explique qu’il faut « se repositionner ». En clair, Cargill Haubourdin, qui fabrique du lait d’amidon à partir du maïs, devrait le fabriquer à partir de blé. Car le procédé à partir du maïs coûte beaucoup plus cher. Cargill veut aussi se recentrer sur des produits à forte valeur ajoutée, notamment en direction de l’industrie pharmaceutique.

Prospère depuis 100 ans

Résultat, l’amidonnerie qui venait de subir un lifting sera détruite. 183 postes seront supprimés sur les 315 actuels. Sans compter environ 80 emplois indirects (dans la maintenance, le nettoyage, l’électricité...). Pour les salariés, cela n’est pas entendable. "Nos grands patrons ont décidé de mettre fin à notre histoire sur le site d’Haubourdin sous prétexte de ne pas être rentable, alors que notre usine prospère depuis plus de 100 ans !" peut-on lire sur un tract de la CGT. Le syndicat dénonce une "manipulation organisée, l’argent du groupe injecté dans la rénovation de l’amidonnerie qui est vouée à être rasée, est l’une de« s raisons qui leur a permis de mettre les comptes de l’entreprise dans le rouge et justifier la réorientation de notre entreprise (...)."

Cargill
Les salariés investissent la salle où se déroule la réunion du PSE.
© Liberté Hebdo

Un Plan de sauvegarde de l’emploi(PSE) va être mis en œuvre. La première réunion a eu lieu une semaine après l’annonce, ce jeudi 28 novembre. Le lendemain, les salariés étaient en assemblée générale pour s’informer et pour décider de l’action à mener. Mais après l’annonce du 21 novembre, un préavis de grève illimité a été déposé. «  Le week-end suivant, explique un salarié, les équipes postées sont arrivées pour travailler. Elles n’ont reçu aucun accompagnement psychologique. Aucune cellule n’est créée depuis. La direction s’est montrée très discrète. Elle préfère se protéger derrière des vigiles que de mettre en place un soutien psychologique" .

Conclusion du PSE le 28 février

Depuis une semaine, la production est à l’arrêt. Le directeur, qui a affirmé « comprendre les salariés », a tenté de les convaincre de reprendre le travail. « De toute façon, dit un syndicaliste, beaucoup d’entre nous sont incapables de travailler dans des conditions de sécurité correctes. Ils sont trop choqués et trop déstabilisés pour utiliser des machines sans se mettre en danger ». Certains ont plus de trente ans d’ancienneté et ne savent pas dans quelles conditions ils seront licenciés. C’est le cas de Régis, 56 ans. D’autres viennent à peine d’être embauchés, comme Damiens (20 ans). Souvent, il y a des crédits à rembourser, des prêts immobiliers à honorer, etc. « Et puis, l’ambiance ici était bonne, dit un autre. Nous ne venions pas le matin en traînant les pieds ». Ce vendredi, alors que les représentants des salariés (CGT, CFE CGC et CFDT) discutaient avec les représentants patronaux pour le premier acte du PSE, les salariés se sont regroupés devant la porte de l’usine avant d’envahir pacifiquement la salle où se tenait la réunion. Aux pétards et aux cris indignés, de longues phases de silence ont opposé les uns et les autres, sous l’œil des vigiles. « Si nous sommes là, a finalement lâché un syndicaliste CGT à l’attention des membres de la DRH, c’est pour que vous mettiez des visages sur vos chiffres. Car ce sont 183 familles que vous fichez en l’air  ». Cinq autres réunions de PSE sont programmées. Elles s’étaleront jusqu’au 27 février. « Ce sera long et insupportable  », prédit Régis.