La Poste veut faire disparaître les facteurs

par FRANCK JAKUBEK
Publié le 28 juin 2019 à 19:32

Trois questions à Pascal Gaillet, secrétaire général du syndicat départemental du Nord de la fédération des activités postales et de télécommunications (FAPT-CGT).

Comment envisagez-vous les transformations en cours à La Poste ?

La direction de La Poste est en train de transformer nos services postaux en entreprise commerciale à marche forcée. Ce qui s’accompagne de restructurations à répétition et d’une transformation des métiers de la distribution, dans le tri du courrier et dans les bureaux de poste, avec des fermetures, des transformations en agence postale communale, auxquelles viennent s’ajouter des changement d’horaires d’ouverture et, plus grave, un rétrécissement des plages horaires, au détriment des usagers qui sont sommés de s’adapter. Proximité, accessibilité, équilibre des territoires ne sont plus pris en compte.

Précarité et ubérisation

Quels impacts directs avez-vous relevés ?

Avec la distribution pilotée CAD (lire ci- dessous), La Poste se réserve le droit de distribuer ou pas le courrier, en fonction de la disponibilité des agents. Ils font de la rétention pour le remettre en circuit quand le volume leur convient. Parfois sept à huit jours, même avec un timbre rapide ! À la distribution, le facteur est en train de changer de métier. La séparation est en cours entre la préparation du courrier et sa distribution. C’est la suppression du métier, il faut appeler un chat un chat. Il y aurait des préparateurs qui préparent la sacoche et d’autres qui vont être les distributeurs, pas forcément des agents postaux, des prestataires ou des livreurs. À partir de là, tout est possible en termes de précarité et d’ubérisation.

Quelles sont les revendications de la CGT ?

Nous proposons à La Poste que la journée type du facteur soit articulée sur sa tournée, dont il est titulaire et qu’il prépare lui- même. C’est un engagement de qualité de service public. Nous proposons de créer des brigades et d’ouvrir de nouvelles tournées. Et d’ouvrir de nouveaux services, bien différenciés, l’après-midi. Le discours de La Poste actuellement est que toute cette organisation serait liée à la baisse du trafic courrier, ce qui est peut-être vrai sur le courrier traditionnel, de la carte de vœux aux lettres d’amour, souvent remplacées par le mail ou le SMS. Par contre, l’activité du facteur s’accroît avec les recommandés, les petits paquets internationaux, etc. Les tournées s’allongent et sont plus chargées. Nous sommes largement en capacité d’employer des facteurs sur les revendications de la CGT.

La déshumanisation en marche

Factéo, le fil conducteur du facteur

Les postiers partent en tournée désormais avec un outil numérique à la main. Factéo est comme un téléphone portable mais c’est aussi, plus encore, l’organisateur des arrêts du facteur. C’est lui qui lui indique les « services » vendus par les commerciaux sur son secteur. Services que le facteur doit rendre. De la visite à la personne âgée isolée, service payant désormais, au renseignement commercial, ou des livraisons directes pour La Blanche Porte ou Afibel, c’est Factéo qui dicte au postier ses points d’arrêts et actions obligatoires dans sa tournée. Des services censés faire du bénéfice à l’entreprise La Poste. « Ces nouveaux services ne représentent que 1,2 % du chiffre d’affaires et de l’activité », souligne Eric Dyson, secrétaire départemental pour La Poste à la FAPT-CGT.

« La Poste se rémunère sur des actions que nous faisions naturellement  », regrette Vincent Rogeaux, élu CGT au CHSCT. C’est d’autant plus flagrant avec l’option « Veiller sur mes parents » , avec des questionnaires types à remplir et des visites qui vont d’un quart d’heure à une heure par semaine, plus d’autres options ; ou encore avec la vérification d’identité numérique (IDN). Des services tous enregistrés dans la mémoire de Factéo qui, désormais, guide les pas du facteur.

Courrier retenu au nom de la rentabilité

Malgré ses prétentions à vous faire des tarifs différents, lent ou rapide, La Poste est bien en peine de différencier ses livraisons sans surcoût. À part pour les entreprises, en principe, où tout est réglé par contrat et dont les volumes sont convenus et connus, les particuliers voient rarement de différence entre le courrier expédié timbré en écopli et celui en tarif rapide à J+1.

Et voilà que La Poste envisage de faire nationalement pour le courrier à date (CAD) des opérations de rétention pour assurer une gestion de flux et s’assurer des gains de productivité au dépens du facteur et de l’usager. Trois catégories d’usagers : A, B, C. Tournée assurée mais un passage tous les trois jours, tous les deux jours, ou quotidien. Ceux qui sont abonnés à des journaux ou des périodiques devraient être épargnés car La Poste s’engage contractuellement avec la presse pour des livraisons à date fixe correspondant aux parutions. Un engagement pas vraiment tenu pour nombre de lecteurs de Liberté Hebdo.

Nos voisins belges devraient subir le même fléau à partir de mars 2020. Seul le « prior » (l’équivalent de notre timbre rapide) serait distribué chaque jour. Pour le reste, deux passages par semaine... Les mauvaises idées voyagent décidément mieux que les bonnes.

par FRANCK JAKUBEK