Projet de démantèlement d’EDF

« Hercule, on n’en veut pas ! »

Publié le 12 février 2021 à 12:22

Depuis sa présentation en 2019, le projet Hercule, qui prévoit la réorganisation d’EDF, fait face à une mobilisation des organisations syndicales des industries électriques et gazières, d’une partie de la classe politique, dont de nombreux parlementaires et élus locaux, sans compter l’hostilité des associations de consommateurs. Pour eux, le démantèlement n’est pas une fatalité et doit être stoppé. Retour sur les enjeux.

« Qui veut la mort d’EDF ? », « EDF, la mort en face », « EDF, la réforme impossible ? », « Réforme d’EDF : le gouvernement n’a pas la certitude de parvenir à un accord avec Bruxelles »... Ces dernières semaines et ces derniers jours les titres de la presse, toutes tendances confondues (ici Le Monde diplomatique, Transition et Énergie, Les Échos, Le Figaro) posent à longueur de colonnes la question du projet « Hercule ». Il faut dire que cinq jours de grève des salariés d’EDF, depuis novembre, et les auditions de Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, le 4 février devant la commission économique de l’Assemblée nationale, puis celle du PDG d’EDF lui-même, Jean-Bernard Lévy, le 10 février, ont de quoi susciter les interrogations.

Destruction d’un fleuron

Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime (groupe de la Gauche démocrate et républicaine) en sait quelque chose. C’est lui qui, dès janvier 2020, avait lancé le mouvement en faisant auditionner la direction d’EDF et Élisabeth Borne lorsqu’elle était encore ministre de l’Écologie, du Développement durable et du Dialogue social. Il a aussi obtenu l’audition de Bruno Le Maire car, dit-il, quand il y a un projet de libéralisation et de privatisation quelque part, le ministère des Finances n’est jamais loin. Ce ne sont pas les propos du patron d’EDF qui le feront fléchir dans sa détermination à combattre le projet. Pour Jean-Bernard Lévy, « cette réforme Hercule est nécessaire parce que notre développement, notre croissance, nos investissements sont gravement entravés par le niveau de la dette que nous avons accumulée depuis des années (plus de 42 milliards d’euros – ndlr), du fait de la régulation que nous appelons l’Arenh. ». L’Arenh, c’est l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. En fait, l’État a contraint l’entreprise publique à vendre une part de sa production à ses concurrents à un « prix d’ami ». Ainsi que l’explique Loïk Le Floch Prigent, ex-patron de GDF, l’idée, absurde en soi, est la suivante : « Comme la concurrence ne va pas de soi, on la bâtit sur un affaiblissement du producteur... propriété de l’État. C’est le scandale de l’Arenh : plutôt que de faire profiter le client et le contribuable des efforts réalisés par sa société nationale, on permet à des sociétés qui n’ont jamais investi dans ces centrales d’en tirer bénéfices au nom de Sainte Concurrence et de Sainte Commission européenne ! Hypocrisie aussi de l’administration française, bien décidée à affaiblir la puissance d’EDF. » La destruction de ce fleuron, issu du Conseil national de la Résistance (CNR), s’est faite en une vingtaine d’années. L’entreprise qui, au départ, avait pour vocation d’assurer un service universel de l’électricité, au même prix pour chaque citoyen et quel que soit le territoire, est aujourd’hui divisée en trois entités indépendantes : EDF, RTE (transports et réseaux) et Enedis (distribution). La production est soumise à la concurrence puisque l’on confie des centrales hydrauliques ou thermiques à d’autres acteurs qu’EDF.

Logique financière contre mutualisation des risques

Le projet Hercule, qui « se négocie en catimini entre Emmanuel Macron et la Commission européenne », reproche Sébastien Jumel [1] , veut aboutir à un autre saucissonnage en créant « trois nouvelles entités distinctes, regroupées dans une holding sous forme de filiales indépendantes qui pourraient se faire concurrence et être facilement accessibles », explique le Collectif de défense et de développement des services publics du Douaisis (CDDSPD). Ainsi, le gouvernement, sous l’œil intéressé de la Commission européenne qui est attachée à la libre concurrence et à l’ouverture des marchés, mettrait en place un découpage permettant de privatiser les profits et de socialiser les risques. Les trois entités en question seraient :

  • EDF Vert, qui regrouperait les énergies renouvelables, soit la petite hydraulique, l’éolien, le photovoltaïque, les réseaux électrique Enedis et SEI. Ce sont précisément celles qui ramènent le plus de profits pour les actionnaires. EDF Vert serait « largement ouvert aux investisseurs privés, friands des revenus récurrents et sûrs », souligne le CDDSPD.
  • EDF Bleu comprendrait les entités sensibles et nécessitant des investissements lourds : le nucléaire notamment. EDF Bleu demeurerait dans le secteur public.
  • EDF Azur serait une filiale d’EDF Bleu et aurait la charge des barrages hydrauliques dont les concessions seraient remises en concurrence.

Actionnaires contre territoires

C’est donc bien la logique financière qui prévaudrait avec la fin de la mutualisation des risques de l’entreprise intégrée EDF. C’est ce qu’oublie de dire le PDG Jean-Bernard Lévy quand il affirme que « le groupe EDF doit rester un groupe intégré ». De son côté, Sébastien Jumel n’en démord pas. « En livrant à l’appétit d’actionnaires, en coupant en tranches l’unicité d’EDF, on aboutit à l’envolée de prix pour les usagers. » Cela vaut tant pour les particuliers que pour les entreprises, au risque de les rendre moins compétitives. En dix ans les prix ont déjà augmenté de 50 %. Or, dit le député, « le prix de l’électricité peut être préjudiciable pour envisager le renouveau industriel de nos territoires ». Par ailleurs, la transition énergétique ne peut être menée à bien sans un outil public fiable. On comprend d’ailleurs difficilement que le gouvernement tente d’utiliser la future loi Climat - et la Convention citoyenne pour le climat - pour faire passer son projet. Le député de Seine-Maritime a adressé un courrier à plus de 700 maires, toutes étiquettes confondues, de son département. « Je souhaite qu’on fasse la même chose partout en France », ajoute-t-il. Le but est de mobiliser les conseils municipaux. Car pour lui, « s’il y a un secteur où nous savons que la logique d’actionnaires se fait toujours au détriment des territoires, c’est bien celui de l’énergie ». Il en veut pour preuve le développement de l’éolien, sur terre ou en mer (lire ci-contre le projet dunkerquois). « Ceux qui développent ces projets sont des marchands de savonnettes qui opposent les territoires les uns aux autres, qui font des promesses de Gascon aux maires à propos de retombées financières et en termes d’emplois. Force est de constater qu’en matière d’énergie renouvelable, on a été incapable de structurer une filière made in France et que les retombées promises sont rarement au rendez-vous. En plus, les éoliennes en mer se font souvent au détriment des acteurs , notamment ceux du secteur de la pêche. » Sébastien Jumel en est convaincu, de nombreux maires ne se laisseront pas prendre au miroir aux alouettes d’Hercule. Quand on sait que Barbara Pompili elle-même n’est pas convaincue qu’un accord puisse être trouvé avec Bruxelles, il a beau jeu de croire qu’il est possible de faire reculer le gouvernement. En attendant, il estime qu’il serait « légitime d’obtenir une évaluation de ces trente années de libéralisation, à l’échelle européenne, et des dégâts commis, avant de se lancer dans une opération mortifère ».

Pétition en ligne pour une énergie publique : energie-publique.fr.