> Quentin et Laurent, sapeurs-pompiers dans le Nord

L’effet loupe du coronavirus

par Philippe Allienne
Publié le 30 avril 2020 à 12:17

Pour le secrétaire général CGT du Sdis59, cette période de pandémie a une influence importante sur les conditions de travail des sapeurs-pompiers du Nord. Les précautions indispensables au contexte s’ajoutent au manque de moyens régulièrement dénoncé.

Sur la façade du centre Sdis (Service départemental d’incendie et de secours) du Nord, à Lille-Fives, les mêmes calicots flottent depuis des mois : « Manque de moyens », « Pompiers en voie d’extinction ». Et sur le portail d’entrée, par où passent les puissants véhicules de secours, en peinture blanche : « En grève !!! » Les trois points d’exclamation en disent long. « Vous savez ce que veut dire la grève pour nous ? » interroge Laurent Cauterman, délégué CGT. Oui, nous savons. La grève chez les pompiers, c’est comme la grève chez les urgentistes, les médecins hospitaliers, les infirmiers qui demeurent toujours au service du public.

Sous-effectif

Mais les revendications sont toujours d’actualité. Les slogans n’ont pas disparu des véhicules rouges, malgré les injonctions de la direction qui a tenté de les faire retirer par voie de référé. « Le tribunal ne lui a pas donné raison, mais elle a fait appel  », poursuit Laurent Cauterman. Les pompiers du Nord avaient organisé une journée de sensibilisation du public le 14 novembre dernier. Parmi ce qu’ils mettaient alors en avant : un effectif insuffisant (avec un manque de 180 personnes) pour assurer les missions correctement et en toute sécurité, un budget en manque de 9 millions d’euros sur un total de 270 M€ (en 2019) pour satisfaire au fonctionnement et au besoin d’investissement. Aujourd’hui, le sous-effectif se chiffre à 134 agents : il en faudrait 1 834 pour les véhicules en opération, ils ne sont que 1 700 sur un effectif total (officiers et administratifs compris) de 2146.

Les sapeurs-pompiers professionnels réclament aussi le maintien du régime indemnitaire pour les agents entrants. Le salaire moyen varie entre 1 600 euros pour un entrant et 2 600 euros pour un officier. Bien peu au regard de la tâche qui leur est demandée.

Mais depuis le début de la pandémie et la mise en place du confinement, les choses se sont encore compliquées. « Nous intervenons moins sur la voie publique, au profit des interventions à domicile, et notre activité a diminué de 20 à 30 % », explique Quentin de Veylder, secrétaire général CGT. L’effectif opérationnel a diminué d’autant afin de préserver un panel suffisant pour les cas d’épidémie. La réorganisation s’est faite dès le premier jour du confinement, le 17 mars.

Manque de tenues de protection

« Tout ce que l’on a mis en lumière depuis des années se révèle de façon encore plus crue en ce moment », constate le syndicaliste qui regrette le manque d’anticipation de ceux qui tiennent les cordons de la bourse : le Département et l’État. Comme on le constate chez les policiers, le manque de matériel de protection est patent. « Nous devrions disposer de trois tenues à bord des ambulances (correspondant aux trois pompiers par opération de secours). Nous n’en avons qu’une. » Résultat, un agent intervient auprès de la personne en détresse tandis que les deux autres restent en recul. « Mais si la personne secourue nécessite un massage cardiaque ou une intubation, cela devient très compliqué. Les deux autres agents doivent alors intervenir avec le premier, risquant d’être contaminé par le Covid-19. »

En attendant, les missions restent adaptée à la réalité du moment. Si une personne appelle pour être hospitalisée, c’est une équipe du Smur ou une ambulance privée qui la prendra en charge. Les pompiers n’interviennent que sur les urgences et les personnes en difficulté respiratoire ou cardiaque. Pour les problèmes intervenant sur la voie publique, les interventions sont très filtrées et très hiérarchisées en fonction de la gravité et de l’urgence. Il n’y a de toute façon pas le choix. Du fait des précautions à prendre, les interventions et les attentes à l’hôpital sont beaucoup plus longues.

Le risque de contamination stresse-t-il particulièrement les agents qui se rendent sur le terrain ? « Il y a un effet de banalisation. De toute façon, ils prennent les précautions nécessaires et respectent les distances sociales », constate Laurent Cauterman. Sauf lorsque le matériel de protection fait défaut pour tous. Et là, le ressenti est clair : « On fait avec ce que l’on a, dit Quentin De Veylder. Mais il y a un phénomène de lassitude. Nous avons l’impression d’être transformés en chair à canon. »

« La pandémie a produit un effet loupe sur les problèmes que nous connaissions déjà » conclut son collègue.

Dossier spécial 1er mai : lire nos autres portraits des « premiers de corvée » mobilisés pendant l’épidémie.