Les pompiers du Nord veulent plus de moyens

par Philippe Allienne
Publié le 26 juin 2020 à 15:52 Mise à jour le 27 juin 2020

Cela ne saute peut-être pas aux yeux, mais les sapeurs-pompiers professionnels du Nord sont en grève depuis le 21 mai 2019. Il s’agit d’une « grève d’expression », comme dit Laurent Cauterman, délégué CGT, qui s’exprime à travers des inscriptions sur les véhicules et des calicots sur les casernes. Mais les raisons de leur mécontentement ne cessent d’augmenter. Plus encore depuis le début de la crise sanitaire.

En tête des revendications des sapeurs-pompiers professionnels : les effectifs. Le 2 juillet, le conseil d’administration du Sdis 59 doit voter le Schéma départemental d’analyse et couverture des risques (Sdac). « L’analyse, explique Laurent Cauterman, c’est la photo du département qui révèle l’ensemble des risques courants, particuliers, séveso, etc. À partir de là, on met en place la couverture pour être apte à y répondre en termes de moyens humains et matériels. » Lors du comité technique auquel participent les organisations syndicales [1] et les élus politiques, les élus ont rendu un avis positif pour le Sdac. Mais les syndicats se sont abstenus. « Nous n’avons rien à reprocher à l’analyse, qui est pointue, mais sur les moyens, c’est autre chose. » En fait, les pompiers refusent de signer un chèque en blanc en votant pour un document qui sous-estime les moyens humains.

Il manque 40 pompiers

En 2012, le Service départemental d’incendie et de secours (Sdis 59), alors présidé par Jean-Claude Magnier, comptait 2 182 sapeurs-pompiers professionnels, dont 1 718 opérationnels (les pompiers qui vont sur le terrain). Depuis, ces chiffres ne cessent de diminuer pour atteindre, en 2020, l’objectif de 2 146 hommes, dont 1 682 opérationnels en centres de secours. C’est le chiffre auquel entend se tenir l’actuel président du Sdis, Jean-René Lecerf, par ailleurs président du Département.Pour la CGT, le compte n’y est pas. Il manque au moins une quarantaine d’opérationnels. Et le syndicat ne comprend pas. En 2019, le budget de fonctionnement apparaît excédentaire (5,7 millions d’euros). Il s’élevait à 3,8 M€ un an plus tôt. Si l’on embauchait immédiatement les 40 pompiers nécessaires, le coût sur les six mois qui restent de l’exercice serait de 750 000 euros (soit 37 500 euros par recrutement). Au lieu d’embaucher, regrette Laurent Cauterman, le Sdis préfère travailler en « mode dégradé » : là où il faudrait une équipe de six personnes par véhicule d’intervention, ils ne sont que trois ou quatre. Sur les grosses opérations, on fait appel à un véhicule d’une autre caserne. Sauf que le délai d’arrivée sur un sinistre est de 15 minutes. Quand un véhicule vient d’une autre caserne, il lui en faut le double. Autre sujet qui fâche les soldats du feu : le traitement de la Covid. 250 pompiers ont été contaminés sur les deux mois. Cela a bien sûr eu des impacts sur les effectifs, qui se sont particulièrement faits ressentir dans les petites casernes de moins de dix personnes (comme en Avesnois). Mais surtout, les pompiers ont manqué de masques et de combinaisons de protection. « Nous avions des stocks datant de l’épidémie de H1N1, mais ils ont fondu en une semaine ! », dit Hugues Tétaert, membre du CHSCT du Sdis 59. Lui-même a été testé positif. « Nous avons sans doute été nous-mêmes sources de contamination », craint-il. « Aujourd’hui, on glorifie notre professionnalisme et notre dévouement. Ce que nous voulons c’est une vraie reconnaissance. Et puis nous pensons à une seconde vague possible en espérant que les leçon ont été tirées. » En attendant, la prime Covid, ce n’est pas pour les pompiers. Jacques Houssin, le vice-président du Sdis, l’a confirmé. La prime de feu, actuellement de 19 %, passerait à 25 % avant le 1er juillet. C’était une promesse du ministre de l’Intérieur Castaner qui renvoie la patate chaude aux Départements. De toute façon, les pompiers réclament 28 %.Ce n’est pas tout. « Nous voulons aussi un dispositif spécifique pour le lavage de nos tenues, comme cela se fait à l’hôpital », précise Hugues Tétaert. Jusqu’à présent, les pompiers nettoient leurs tenues chez eux. Or, après une opération incendie, elles portent des particules cancérigènes (CMR) qui restent dans le lave-linge familial et peuvent se transmettre. Dans le Nord, les pompiers ont obtenu un investissement de 1,2 million d’euros pour l’achat de 113 lave- linges classiques. Ils devront laver eux- mêmes leurs tenues en caserne sans que cela élimine les risques.Chez les pompiers en retraite, on décèle cinq fois plus de cancers résultant d’une exposition aux fumées.

La grève d’expression peut continuer Le Sdis 59 voulait faire interdire les calicots et inscriptions signalant la grève des sapeurs-pompiers. Il a été débouté. « Fin 2017, rappelle un récent communiqué intersyndical, suite aux mouvements sociaux que traversait le Sdis Nord, les directions politiques (LR) et hiérarchiques du Sdis 59 traînaient les organisations syndicales devant les tribunaux, afin de nous ôter nos droits fondamentaux à la liberté d’expression. » Le Sdis 59 avait finalement retiré son dossier le 29 mai 2018 avant d’assigner une nouvelle fois les syndicats en octobre 2019. La direction reprochait en fait aux sapeurs-pompiers du département de faire circuler dans l’espace public des véhicules d’intervention couverts d’inscriptions au « blanc de Meudon » (aisément effaçable et n’endommageant pas la peinture) reprenant leurs messages revendicatifs.L’assignation portait aussi sur la suppression « de tout tract, article ou communication écrite ou électronique incitant, recommandant ou suggérant, même indirectement, aux sapeurs-pompiers de mettre en œuvre tout calicot, inscription à la peinture ou autres substances sur ses matériels roulants ou ses immeubles ». Le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille a prononcé la nullité de l’assignation le 12 novembre 2019. Le Sdis 59 a interjeté appel deux jours plus tard. En février dernier, la Cour d’Appel de Douai a suivi les jugements précédents, confortant ainsi les organisations syndicales et condamnant le Sdis 59 à payer une indemnité de pour frais de procédure de 1 000 euros à chacun des sept syndicats constitués. Ces derniers y voient une victoire pour la liberté d’expression. Mais la décision du juge est d’autant plus importante que les actions de grève menées par les pompiers sont exclusivement des « grèves d’expression ». Pas question bien sûr de ne pas répondre aux appels au secours. En revanche, les véhicules d’intervention et les bâtiments conservent inscriptions et calicots.

Notes :

[1CGT, Autonomes SPP-Pats, CFTC, Avenir-Secours CFE-CGC, Sud solidaires, FO, CFDT.