Hôpital public

À Lens, la colère d’un anesthésiste sur les conditions du déconfinement

Par Jean Létoquart

Publié le 15 mai 2020 à 03:42 Mise à jour le 19 mai 2020

Premier adjoint PCF d’Avion, infirmier anesthésiste et représentant du personnel CGT, Jean Létoquart se bat depuis très longtemps pour le service public hospitalier. Il clame ici sa colère après la réouverture, beaucoup trop rapide selon lui, des chambres doubles au service de chirurgie du centre hospitalier de Lens. Il porte un regard très inquiet sur l’après crise sanitaire. Verbatim

« Le plan de déconfinement progressif à partir du 11 mai prend de l’avance à Lens ! Voilà, la carte de saturation hospitalière passe à l’orange pour le Pas-de-Calais. Moins de 24 heures après, le service de chirurgie est de nouveau rempli... en chambres doubles ! Tant pis pour l’hygiène, tant pis si on partage les toilettes, le lavabo, tant pis si on éternue sur son voisin de chambre.Tant pis si le mètre réglementaire n’est pas respecté,on dira qu’il y a bien 4m 2 par patient. On avait bien pensé à tester les patients : mais l’accord avec le laboratoire a échoué, alors personne n’a été testé. Tant pis. On inventera des procédures intenables mais on accusera le personnel de ne pas les avoir respectées. Après tout, quand on a passé les bornes, il n’y a plus de limites. Tant pis si les stocks de médicaments d’anesthésie sont dans le rouge, on avisera quand les stocks seront à zéro. Et surtout, demandons à la population de se responsabiliser au maximum.

Cela permettra si l’épidémie reprend, de les accuser en se défaussant de toutes nos responsabilités. D’ailleurs, ils ont prévu un amendement spécial pour protéger les personnels de direction, les politiques et les soignants de leur responsabilité pénale en cas de soucis. Tant pis si on a perdu tout sens de la morale, de la protection de la santé publique, de l’éthique. On dira que ceux qui ne trouvent pas normal de mettre dans 10 m2, en chambres doubles, des patients à risque, fragiles et vulnérables n’ont rien compris. Cela fait si longtemps que l’on fait n’importe quoi que l’on peut peut-être aller plus encore plus loin dans l’abject, le dangereux, l’immoral. On fera comme d’habitude : on trouvera une caution médicale pour justifier l’injustifiable même si c’est un avis minoritaire.

Les médecins qui ne sont pas d’accord finiront bien par démissionner comme ceux du service des urgences (16 démissions sur 24 postes). Et si vraiment cela ne suffit pas, on embrouillera avec une histoire de GHT (Groupement hospitalier de territoire), de lits en plus ici, de lits en moins là. Pendant que les gens essaieront de recompter, les malades s’entasseront dans les mêmes conditions inacceptables que ces derniers mois, le virus en plus, la déontologie en moins, l’humanité disparue. Et à la fin, on fera comme d’habitude. Le jour d’après Covid sera pour l’hôpital le même que le jour d’après pour la canicule. Une prime, des lits en moins et du mépris. C’est important le mépris, c’est ce qui permet de ne pas se sentir coupable des inepties qu’on demande, des drames qu’on causera et de ne faire aucun cas des oppositions qui pourraient jaillir ça et là. Et des morts en plus. »