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Santé

Comment repeupler les déserts médicaux ?

par Lydie LYMER
Publié le 30 décembre 2021 à 19:07

À quelques mois de la présidentielle, l’enjeu de l’accès aux soins s’invite dans la campagne et stimule l’imagination des candidats et des parlementaires.

L’expression « déserts médicaux », dont la première occurrence remonte à 1991, s’est imposée dans le débat public pour qualifier les difficultés que rencontrent les Français à accéder aux soins sur un grand nombre de territoires. Une étude réalisée en octobre 2020 par l’observatoire de la santé de la Mutualité Française dresse un bilan inquiétant : « 7,4 millions de personnes, soit 11,1 % de la population, vivent dans un milieu où l’accès à un médecin généraliste est limité. » En France métropolitaine on compte 430 médecins pour 100 000 habitants. Une commune sur trois n’a pas de cabinet médical. Et un médecin en exercice sur deux a plus de 65 ans. La problématique ne concerne pas que les territoires ruraux. Certaines zones urbaines et péri-urbaines sont elles-mêmes des déserts médicaux. Les conséquences sont graves. 1,7 million de personnes ont renoncé à se soigner en 2017 alors qu’ils ont besoin de soins urgents ou d’examens de dépistage. En 2019, 5,5 millions de Français n’avaient pas de médecin traitant, sésame indispensable pour entrer dans le parcours de soins et accéder aux spécialistes. Ces patients sont doublement pénalisés. Ne respectant pas le parcours de soins, ils ne sont pris en charge par la Sécurité sociale qu’à hauteur de 30 %, contre un taux normal de 70 %.

De l’abondance à la pénurie...

La population s’est accrue de plus de 18 millions d’habitants depuis les années 70. Or, c’est précisément en 1972 qu’a été introduit le numerus clausus, limitant la formation du nombre de médecins. Cette décision s’appuyait sur l’idée folle que si on limitait le nombre de médecins, on limiterait les prescriptions et donc les dépenses de l’Assurance Maladie. Les décideurs d’hier n’ont pas anticipé le vieillissement de la population, les flux migratoires et l’émergence de nouvelles pathologies, générant de nouveaux besoins. Les pratiques ont évolué, et de nouvelles fonctions sont apparues, comme celles de médecin coordonnateur de maison de retraite ou médecin régulateur en centre de réception des appels urgents. Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins, alertait : « L’image qu’on a du médecin de campagne taillable et corvéable à merci, qui travaillait seul, n’est plus d’actualité. Ce n’est plus ce que veulent les jeunes praticiens. » Parallèlement, des décennies de politiques austéritaires ont largement contribué à dégrader l’offre de soins. La loi Bachelot a acté la tarification à l’acte et la notion d’hôpital entreprise. La loi Touraine a instauré des Groupements hospitaliers territoriaux (GHT) concentrant les moyens sur les grosses structures aux dépens des établissements de proximité, contribuant à la fermeture d’hôpitaux et de maternités qui représentaient autant de terrains de stage pour les étudiants. Les budgets alloués à l’enseignement supérieur se sont réduits à peau de chagrin. La loi Pécresse relative à l’autonomie des universités a conduit à des difficultés financières majeures et à la suppression de postes d’enseignants. Les compressions d’effectifs en milieu hospitalier retentissent sur la qualité de la formation des futurs médecins. L’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEF) a mené une enquête fin 2020 auprès des étudiants en santé sur leurs conditions de travail, d’études et de vie. Elle révèle un mal-être très profond, et généralisé. 30 % des étudiants souffrent de dépression. Ils dénoncent une formation bâclée, une pression impitoyable générée par les examens, un apprentissage intensif et un bachotage des connaissances. Ils se sentent abandonnés par les politiques publiques indifférentes à la maltraitance des étudiants sur leurs terrains de stage. La dégradation du système de santé contraint à exploiter les soignants de demain. En découle un phénomène d’évaporation : 5 à 10 % des étudiants disparaissent des écrans radar entre leur admission en 2e année et leur thèse, selon la commission Jeunes médecins du Conseil de l’ordre.

Diverses propositions de lois 

Après l’échec de mesures incitatives, de l’exonération de cotisations sociales sur les revenus d’activité aux aides forfaitaires octroyées par les Agences régionales de santé (ARS) d’un montant de 50 000 € pour les médecins s’installant en zone blanche, les parlementaires remettent en question la liberté d’installation. Mi-novembre, une proposition de loi co-signée par une cinquantaine d’élus centristes prévoyait d’obliger les jeunes praticiens à exercer trois ans après l’obtention de leur diplôme en zone sous dotée. Les Républicains portent un projet de loi incluant « une année complémentaire obligatoire dans le cursus de médecins juniors durant laquelle ces derniers seront obligés d’exercer dans un territoire sous-doté (…). Ce sera en quelque sorte une année de service rendu au pays ».

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Cela sous-entend, comme le croient bon nombre de nos concitoyens, que l’État paye généreusement les études de médecine. Or, dès le deuxième cycle des études, soit à partir de la 4e année, l’étudiant intègre l’hôpital comme externe. C’est souvent la première personne qu’un patient voit quand il arrive aux urgences. Il dresse un bilan, dispense les premiers soins, du plâtre aux points de suture. Il a en charge de nombreuses tâches administratives, et est rémunéré 90 centimes de l’heure, soit 100 à 150 € par mois, qui ne suffisent même pas à couvrir les frais d’inscription et l’achat des livres nécessaires aux études. Le système de santé met sur les étudiants une pression qui les dépasse. Personne ne leur apprend à gérer la souffrance et la douleur des familles. En 3e cycle, soit à compter de la 7e année, l’étudiant devient interne, et exerce à temps plein à l’hôpital, en moyenne 57 heures par semaine pour un salaire moyen de 7,50 euros de l’heure. Les internes, qui représentent 40 % des effectifs médicaux de l’hôpital, devraient encore rendre un service à l’État en remerciement de son accompagnement ? Les parlementaires LREM, eux, dissimulent l’attaque à la liberté d’installation derrière un « conventionnement sélectif », conditionné au départ en retraite d’un médecin installé d’où « découlerait un ruissellement vers les zones sous-dotées ». Ces offensives ne sont pas du goût des syndicats. Selon Jacques Battistoni, président de MG France, « la coercition n’est pas la bonne solution. En procédant de cette façon, on risque de dissuader les jeunes de faire de la médecine générale. Il vaudrait mieux aider les jeunes praticiens qui exercent en zones sous-dotées à gagner du temps médical et élargir leur patientèle en prenant en charge des assistants médicaux ou des secrétaires médicales ». Ils préconisent une année professionnalisante ajoutée au 3e cycle, sous forme d’un tutorat exercé par un professionnel installé en zone sous-dotée. Les parlementaires communistes explorent des pistes pour accompagner les praticiens dans leur installation en zone sous-dotée en partenariat avec les collectivités locales. André Chassaigne présentait en novembre un projet de loi pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale. « Si la salarisation des médecins est apparue comme une solution permettant d’attirer de jeunes praticiens dans certaines zones sous dotées, c’est en partie pour répondre aux enjeux de transformation des pratiques de ces nouveaux médecins qui attendent un cadre professionnel plus stable, une équipe sur laquelle se reposer et une sécurisation de leur installation. Ils trouvent en partie une réponse à leurs besoins, comme la possibilité d’avoir un temps de travail encadré. De telles dispositions ne permettent pas à elles seules de pallier le manque structurel de nouveaux “entrants” mais elles peuvent représenter une garantie pour ceux qui hésitent à s’engager sur cette voie. »

La lutte contre les déserts médicaux est indissociable de l’aménagement du territoire !

Une enquête menée par le Conseil national de l’Ordre des médecins auprès des internes et des jeunes diplômés a pointé les freins à l’installation. L’augmentation du tarif de la consultation n’est pas la priorité des jeunes praticiens, contrairement à leurs aînés. Les aides financières leur apparaissent secondaires. La proximité de services publics arrive en tête des facteurs déterminant l’installation, à quasi-égalité avec la proximité familiale. Arrivent ensuite la présence de transports, d’équipements culturels et sportifs, une connectique satisfaisante et le travail du conjoint, qui n’est pas forcément professionnel de santé. Pour plus de 80 % des internes, la présence sur le territoire d’autres professionnels de santé ou d’un hôpital est primordiale. Pour l’Ordre, c’est le symptôme « d’une appréhension à être seul responsable de la santé du territoire ». Le remplacement exclusif pourrait représenter une étape préalable presque incontournable. 81 % des professionnels installés sont passés par là. L’exercice salarié en centre de santé semble rendre les déserts médicaux plus attractifs. Un rapport récent du Sénat relate le succès de ce dispositif en Saône-et-Loire. Les médecins employés par le Département bénéficient d’un contrat de trois ans renouvelable, avec un salaire indexé sur celui de la fonction publique hospitalière. Ils exercent 39 heures par semaine au sein de structures pluridisciplinaires, au rythme d’une consultation toutes les 20 minutes. Ils bénéficient de congés payés, et de l’assurance maladie, à la différence des libéraux dont le délai de carence est de 90 jours. La présence d’un secrétariat leur permet de dégager du temps médical qu’ils ne consacrent qu’aux soins. Cette voie apparaît comme la plus adaptée aux projets professionnels des jeunes praticiens qui aspirent à concilier qualité de vie, et vie professionnelle de qualité. Les aides à l’installation pourraient donc être réorientées vers les collectivités locales, qui connaissent la réalité du terrain et les besoins de leurs populations, tant en matière d’accès aux soins que d’aménagement du territoire. Une chose est sûre, la question de la désertification médicale doit être abordée comme la médecine : de manière générale.

En 2018, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a mené une enquête auprès de 40 000 personnes sur les délais d’attente en matière d’accès aux soins : > Médecin généraliste : 2 jours > Dentiste : 21 jours > Gynécologue : 30 jours > Cardiologue : 50 jours > Ophtalmologiste : 52 jours > IRM : 2 mois