SANTÉ

Creil : le chef des urgences démissionne

Publié le 28 décembre 2018 à 10:40 Mise à jour le 10 janvier 2019

Le chef des urgences de Creil démissionne. Loïc Pen proteste contre la fermeture de la maternité de l’hôpital et le démantèlement du service public de santé.

Pourquoi quittez-vous votre fonction de chef des urgences de Creil ?

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la fermeture annoncée de la maternité de Creil. C’est la première fois en France qu’on fermerait une maternité de niveau trois (NDLR : apte à prendre en charge les accouchements les plus complexes). Conséquence de cette fermeture, on demande aux urgentistes d’assumer les accouchements inopinés qui se présenteraient aux urgences de Creil. Hormis les médecins smuristes, qui ont une petite expérience, aucun des médecins actuellement en poste aux urgences ne sait pratiquer un accouchement en sécurité.

Mais cela arrive dans d’autres urgences en France.

C’est vrai, mais outre le fait que les urgences de Creil sont déjà totalement saturées, il faut regarder l’environnement de notre hôpital. Nous sommes dans un bassin de population cumulant des problèmes sociaux et de mobilité. Notre population a également un mauvais accès aux soins et une faible éducation à la santé. De plus, je le disais, ce n’est pas une petite maternité que l’ARS veut fermer, c’est une maternité à 1500 accouchements, dans le bassin de vie présentant la plus forte démographie de l’Oise… Des grossesses mal suivies, un risque d’un grand nombre d’accouchements inopinés, des urgences saturées, des professionnels non formés, tous les ingrédients sont présents pour des accidents graves.

La situation s’est tendue : moins bonnes prises en charge, augmentation des délais d’attente et donc des risques, un personnel médical et paramédical au bout du rouleau.

Ne peut-on former les urgentistes ?

En guise de formation, on nous propose un cours théorique puis de monter en salle d’accouchement pour apprendre. Cela pourrait même se faire sur notre temps de garde aux urgences, nous dit-on. Outre le fait que cette proposition révèle la méconnaissance totale de ce que sont les gardes aux urgences (on n’a pas vraiment le temps d’enfiler des perles), elle n’est absolument pas sérieuse. Les sages-femmes sont formées pendant quatre ans pour accoucher et elles nous disent qu’elles refusent de gérer au sein de l’hôpital des accouchements inopinés - et donc à risque élevé - seules, sans l’appui potentiel d’un obstétricien et d’un anesthésiste. Et nous, en deux heures de cours et quelques passages au bloc obstétrical, nous en serions capables. Et tout ça doit se faire fin janvier ! Je ressens cette proposition de formation faite par l’administration comme un moyen de se dédouaner des accidents potentiels, pas comme une solution de prise en charge des femmes et des enfants en sécurité.

Vous disiez que la maternité est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, il était donc déjà bien plein ?

Notre situation s’est particulièrement tendue depuis un an et demi avec la fermeture d’une centaine de lits sur l’ensemble de l’établissement. Nous en manquons cruellement. Nos patients stagnent dans les urgences, et cela entraîne une augmentation de la charge de travail. Il s’ensuit des baisses de qualité dans les prises en charge, une augmentation des délais d’attente et donc des risques, un personnel médical et paramédical au bout du rouleau. Nous payons une logique d’austérité pour la santé et l’organisation de la pénurie médicale dans le pays. Creil n’est pas un cas isolé. J’ai discuté avec mes collègues à l’occasion de ma décision de démissionner de la chefferie de service. Nos urgences, sont déjà en grandes difficultés, et nous considérons collectivement qu’il n’est pas possible de nous demander de gérer les accouchements inopinés en plus. A ce titre, je refuse de prendre la responsabilité d’organiser l’application d’une décision qui n’est pas la mienne et que je considère dangereuse.

La politique actuelle de santé va dans le sens d’un affaiblissement volontaire du service public visant à dégager le marché pour la santé privée à but lucratif.

La dégradation des conditions de prise en charge aux urgences est déjà ancienne et rien ne me semble aujourd’hui aller dans le sens de sa possible amélioration. La politique de santé actuelle va dans le sens de l’aggravation et d’une logique de privatisation. En effet, cet affaiblissement volontaire du service public sert à dégager le marché pour la santé privée à but lucratif. Je ne vois plus désormais de possibilité pour les responsables médicaux d’infléchir les choix qui nous sont imposés, dans le cadre institutionnel. L’alternative est donc claire : soit je me fais le relais de choix que je réprouve, soit je démissionne.

Il n’y aurait donc plus rien à faire pour un système de santé public ?

Bien sûr que si ! J’ai juste dit que je ne pensais plus possible d’infléchir les choix libéraux dans le cadre de l’institution. Je pense par contre qu’il faut faire monter nos exigences dans un cadre de lutte, syndical et politique. De l’argent, il y en a, il suffirait de traquer la fraude aux cotisations sociales pour récupérer 20 milliards d’euros pour la sécu, il suffirait de faire cotiser le capital comme le travail pour en récupérer 20 autres et je ne vous parle pas des 40 milliards de CICE de cette année ou des 80 milliards de fraude fiscale. La France n’a jamais été aussi riche de son histoire, on devrait crouler sous un « pognon de dingue  » et ça n’a jamais été aussi mal réparti. L’argent, c’est le nerf de la guerre, nous en avons besoin pour notre matériel vieillissant ou absent, pour rénover ou reconstruire nos locaux. Mais aussi dans les facs et les écoles pour former plus de professionnels de santé. Mais c’est à une réforme complète qu’il faut s’atteler, basée sur l’interdiction du privé à but lucratif dans la santé. Nous devons repenser notre modèle qui pourrait s’appuyer sur des centres de santé en ville, conventionnés avec les hôpitaux publics et les hôpitaux privés participant au service public, avec de véritables maillages territoriaux par canton, appuyés sur les besoins des populations et non pas sur la restriction de l’offre. Bref, je ne vais pas quitter mon gilet rouge, et en ce moment, j’y rajouterai bien un peu de jaune.

Photo : Loïc Pen, sur la Fête de l’Humanité, en septembre 2018, avec le député du Nord Alain Bruneel. (Photo Marine Boulangé)

Une délégation à l’Agence régionale de santé le 8 janvier

Une importante délégation de l’Oise montera ce mardi 8 janvier à Lille au siège de l’Agence régionale de santé (ARS) pour exiger le maintien de la maternité de Creil, menacée de fermeture au 26 janvier. La délégation sera conduite par le maire (PS) de Creil, président du conseil de surveillance de l’hôpital, et composée, entre autres, de l’urgentiste Loïc Pen, de Jean-Pierre Bosino, maire et conseiller départemental PCF de Montataire, des représentants de divers corps hospitaliers, des organisations syndicales hospitalières et du Comité de défense de l’Hôpital et de la Maternité. Selon la fédération PCF de l’Oise, en pointe dans la mobilisation, la délégation sera soutenue à Lille par des personnels, élus et citoyens du bassin creillois. La fermeture de la maternité de Creil serait la première concernant une maternité de niveau 3, et d’une aussi grosse maternité avec 1600 accouchements par an. C’est ce « scandale énorme d’ampleur nationale  », qui a motivé la récente démission de Loïc Pen de ses responsabilités de chef des urgences. Non loin de là, la maternité de Clermont dans l’Oise, a par ailleurs fermé ses portes ce 1er janvier.

REPÈRES

Le docteur Loïc Pen, aux urgences de Creil depuis 2003, est l’auteur, au nom de la CGT, de l’accord sur le temps de travail des médecins urgentistes de Creil. Cet accord imposé après trois mois de grève des urgentistes en 2005 sera finalement repris et généralisé à tous les urgentistes de France en 2015 par Marisol Touraine après un mouvement national animé par l’AMUF et la CGT médecins.