Santé

La crainte d’un désert médical à Creil

par Marc DE LANGIE
Publié le 4 décembre 2020 à 15:53

Les départs de nombreux médecins, spécialistes, praticiens, sans oublier le personnel de santé, rendent de plus en plus difficile la prise en charge des patients. La situation de l’hôpital de Creil inquiète au point que le 30 novembre dernier une conférence de presse virtuelle était organisée à l’initiative du Parti communiste de l’Oise, à laquelle ont notamment participé Loïc Pen (médecin urgentiste au GHSPO), Thierry Aury (secrétaire départemental du PCF), Karim Boukhachba (adjoint à la mairie de Creil) et Catherine Dailly, conseillère départementale de l’Oise (PCF).

La crainte : voir l’hôpital de Creil devenir une coquille vide tant et bien que la fermeture s’imposera. Certes, « il n’y a pas de volonté délibérée de fermer » explique Loïc Pen, médecin urgentiste au GHPSO (Groupe hospitalier public du sud de l’Oise) mais si les médecins continuent de partir, « on assistera à une fermeture petit à petit  ». La fusion des hôpitaux de Creil et de Senlis pour créer le GHPSO en 2012 n’a pas entraîné les effets escomptés et depuis plusieurs années, de nombreux élus communistes sont montés au créneau pour dénoncer la situation « critique » de l’établissement. Et la fermeture de la maternité de l’hôpital de Creil, en 2019, semble bien marquer le début de cette inquiétude, soulignent de nombreux élus locaux. Depuis, des fermetures en cardiologie, pneumologie, chirurgie et en réanimation ont eu lieu à Senlis « sans que cela soit compensé à Creil ».

Loïc Pen est médecin urgentiste au GHSPO de Creil.
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Selon Loïc Pen, il faudrait une dizaine de médecins supplémentaires. Ce dernier constate que cinq médecins ont quitté l’hôpital au cours des dernières années. S’ajoutent d’autres carences : en août dernier « le SMUR de Creil était fermé, c’est Clermont et Senlis qui venaient dans l’agglomération pour assurer les secours avec les retards d’intervention que cela suppose ». Depuis septembre « plusieurs fois par mois nous n’avons pas de SMUR médicalisé. Cela arrive de façon irrégulière » indique-t-il. La crise de la Covid a mis encore plus en relief une dégradation : fermeture du service de réanimation et confinement de l’équipe médicale pendant quatorze jours en février et de rappeler qu’en raison du départ d’un praticien, le service de pneumologie, si important en période d’épidémie Covid, est en péril. Lors de la première vague, l’hôpital de Creil « a eu de la difficulté à prendre en charge les patients alors qu’un circuit médicalisé dédié aux patients avait été mis en place, y compris entre les deux vagues ». Mais rien lors de la deuxième vague : « On a eu des patients positifs à la Covid et des stagnants dans les couloirs des urgences avec des risques de transmission aux patients qui ne l’avaient pas. » Déjà en février dernier, Loïc Pen avait alerté sur la situation de l’hôpital public « rincé par des politiques d’austérité », mettant en exergue la crainte de voir la médecine du quotidien s’arrêter. Si rien n’est fait, le pire est à craindre pour l’hôpital de Creil.

Catherine Dailly, conseillère départementale de l’Oise (PCF).
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Pour un véritable plan d’urgence « La santé est un bien public » En tournée en juin dernier dans l’Oise, Fabien Roussel (secrétaire national du PCF) s’est arrêté à l’hôpital de Creil. Une visite qui s’inscrit dans le prolongement d’une tournée faite dans les hôpitaux en 2018 dans le cadre du « Plan d’urgence pour les hôpitaux 100 000 emplois ». Depuis, les difficultés s’accumulent : « Cela a débuté avec la fermeture de la maternité de l’hôpital de Creil  » explique Catherine Dailly, conseillère départementale de l’Oise (PCF). Pas d’accouchement et « crainte de certains médecins de faire des accouchements car ils ne sont pas formés, notamment en cas de complication ». Et c’est le déclic : « Début des départs de nombreux médecins, spécialistes, des personnels soignants et employés. Une hémorragie difficile à contenir. » Sa crainte : « Voir une structure se vider et devenir une simple coquille car il n’y aura plus de professionnels. À force de faire du bricolage, sans spécialisation, ni spécialistes, on laisse couler le navire. On en est à se demander où est la fonction de l’hôpital ! » Cette élue de l’Oise appelle à la mobilisation face à une fermeture. Pas question de voir la destruction d’un maillage des soins de santé à Creil.

Peur de fragiliser une population déjà sanctionnée Les limites de l’action municipale Le centre hospitalier de Creil est un outil essentiel pour une agglomération de 125 000 habitants, dont 80 000 à Creil. « C’est un pôle de santé important pour notre bassin de population » explique Karim Boukhachba, adjoint (PCF) au maire de Creil. « Mais le manque de moyens pour répondre aux besoins fait que beaucoup de membres du personnel souffrent de dépression, burn out, frustrations. Cette situation conduit certains à partir vers d’autres établissements, privés ou publics, dans d’autres régions et plus attractifs. »

Karim Boukhachba est adjoint (PCF) à la mairie de Creil.
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Un malaise d’autant « que nous avions eu la promesse il y a un an et demi de nouveaux financements : 11 millions d’euros et le tout est actuellement différé. On voit le résultat : les urgences fonctionnent avec trois des six médecins, et cela entraîne une pression sur les autres services ». Pour l’élu municipal, le départ de spécialistes par faute de moyens conduit à la fermeture d’unités et si les médecins désertent l’hôpital, « c’est la médecine de ville qui va en souffrir par le manque de contacts avec les spécialistes. Un enchaînement qui fait que Creil pourrait se trouver dans un désert médical ». La ville de Creil a fait des efforts, avec la mise en place d’une maison de la santé pour dynamiser le secteur. « Mais la ville ne peut en aucun cas se substituer à l’ARS. » Des élus du PCF, des députés et sénateurs ont été contactés sur la situation, des appels ont été lancés vers d’autres partis politiques, vers les organismes syndicaux pour mettre en place un dialogue et des échanges pour ne « pas perdre cette médecine de ville ». Derrière ce constat se dessine la fragilisation d’une population déjà lourdement sanctionnée par un manque de suivi médical, une situation économique difficile et un abandon des pouvoirs publics. Un accompagnement est nécessaire « et envoyer les patients vers les hôpitaux de Senlis et Compiègne ou Beauvais ne règle rien : cela ne fait qu’augmenter le nombre des patients, avec des moyens limités » conclut Karim Boukhachba. De plus, 40 % de la population n’a pas de moyens de transport hors agglomération et Creil n’a pas de liaison directe en transport en commun avec ces villes.

(Photo : © Google Maps)