Crise hospitalière

La ministre de la Santé enfume et ne répond pas aux revendications

par Philippe Allienne
Publié le 13 septembre 2019 à 15:13

Il est décidément difficile de comprendre comment fonctionne le ministère de la Santé. Face à ce que l’on appelle la « crise des urgences », Marie-Agnès Buzyn se lance dans des effets d’annonce avant d’annoncer un plan très décevant qui ne fait que raviver la colère des urgentistes. Avec à la clé des promesses dignes d’une joueuse de poker- menteur. Explications.

Quand on annonce un plan Marshall, après quinze jours de pseudo concertation, on veille au moins à se parer d’un minimum de crédibilité. Ce n’est pas ce qu’a fait la ministre de la Santé, Marie-Agnès Buzyn. Après un exercice de questions / non réponses dimanche 8 septembre, au micro de France Inter (où elle dit ne rien pouvoir dire avant son annonce officielle du lendemain et où elle se retranche derrière un énième besoin de diagnostic), la voilà qui, le lundi arrivé, donne triomphalement un chiffre : 754 millions pour désengorger les services d’urgence.

Jean Letoquart (photo) : "Marie-Agnès Buzyn prend dans le budget de l’hospitalier pour soigner l’hôpital. Une aberration !"
© Ph.A/ Liberté Hebdo.

Un leurre

Ces 754 millions sont assortis d’une panoplie de 12 mesures. Et pourtant, les urgentistes, et les professionnels hospitaliers en général ne décolèrent pas. « Ce qui a été annoncé n’est jamais qu’un fléchage déjà prévu de longue date », analyse Jean Letoquart, infirmier anesthésiste au centre hospitalier de Lens, syndicaliste CGT et premier adjoint à la mairie d’Avion. Mais d’abord, l’enveloppe de 754 millions d’euros est un leurre. En effet, explique l’élu, « cet argent n’a rien de nouveau puisqu’il est pris sur le budget de l’hôpital ». On demande à l’hôpital de financer ses propres problèmes. Par ailleurs, « la taxe sur les salaires, qui existe exclusivement pour les centres hospitaliers publics, coûte 4 milliards d’euros par an ».

Voilà qui relativise substantiellement l’enveloppe de Mme Buzyn. Il faut aussi savoir qu’en 2018, 1,5 milliard d’euros d’économies ont été demandés par le gouvernement. En 2019 cette somme approche le milliard (970 millions précisément). Le projet de loi de Finances qui sera voté en décembre sera sans doute du même ordre.

« Ainsi, poursuit, Jean Letoquart, on prend à l’hôpital public 4 milliards par an auxquels s’ajoute un milliard au titre des économies budgétaires. Comment peut-on sérieusement croire Mme Buzyn lorsqu’elle dit que nos problèmes seront réglés avec un peu plus de 750 millions versés sur une période de trois ans ? ».

Quant aux mesures que cette fausse manne servira à financer, elles constituent tout autant un écran de fumée. Une des principales revendications des hospitaliers, le moratoire sur les suppressions de lits et la création de lits nouveaux, n’a pas été entendue. On contraire, la ministre parle d’un dispositif de gestion des lits pour 105 millions d’euros.

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Un SAS illusoire

Autre mesure annoncée par le gouvernement : la mise en place d’un service d’ac cès aux soins (le SAS). 340 millions de l’enveloppe y seront consacrés. Il s’agit d’un service d’orientation en ligne (ou par téléphone) pour informer et orienter les patients. Également dans la panoplie : le recours à la médecine de ville (saturée et en manque de praticiens) avec des maisons médicales de garde. L’objectif étant toujours d’éviter le passage par les services d’urgence.

Sauf que, jusqu’à présent, les urgences demeurent l’entrée principale à l’hôpital, pour des raisons d’indisponibilité dans la médecine de ville (le plan Buzyn sera t-il réellement efficace ?) et pour des raisons financières (Mme Buzyn dit sa volonté de généraliser le tiers payant pour la médecine de ville et donc les maisons médicales de garde). D’autre part, il n’y a dans ce dispositif rien de bien neuf. A Lens, par exemple, une maison spécialisée a déjà été testée. Cela a abouti à un échec en raison du manque de médecins généralistes. Là encore, sur les effectifs hospitaliers, il n’y a pas de réponse.

Fragilisation du statut

Par ailleurs, concernant la gériatrie, le ministère veut aussi un accès direct, c’est-à-dire sans passer par les urgences. Mais là aussi, ces services sont en manque de lits. Jean Letoquart recadre ces mesures pour revenir à la réalité.

S’agissant de l’encombrement des urgences et des patients qui attendent sur les brancards, il faut savoir de quoi on parle. « Les patients qui se présentent aux urgences pour une pathologie bénigne, et qui dévorent notre énergie, n’ont pas besoin de lit ! Ceux qui restent sur les brancards, pour un temps souvent très long, jusqu’à 48 heures, sont ceux qui ont réellement besoin d’un lit ». Autrement dit, Marie-Agnès Buzyn ne fait que déplacer le problème des urgences vers les services. C’est le cas, par exemple, pour la gériatrie.

Enfin, et ce n’est pas le point le moins important, Marie-Agnès Buzyn fragilise le statut des hospitaliers en voulant officialiser des actes qui sont pratiqués dans la vie quotidienne par des infirmières, mais elle veut aussi mettre en place des formations (étalées dans l’année) qui n’aboutiraient pas à un diplôme d’État. En conclusion, les choses deviennent très dangereuses.

Non seulement la ministre de la Santé ne répond pas aux préoccupations des hospitaliers (la revendication sur les salaires est du reste oubliée dans les annonces ministérielles), mais elle acte les fermetures de lits, elle bascule une partie des fonds hospitaliers pour régler la crise (on prend de l’argent à l’hôpital pour aider l’hôpital), elle fragilise le statut des hospitaliers.