Témoignage

La nuit terrible d’une infirmière à l’hôpital public

Publié le 15 mai 2020 à 02:54 Mise à jour le 22 mai 2020

16h : Je me réveille, après une petite journée de sommeil entrecoupée par les flashs de ce que j’ai vécu cette nuit au travail. J’ai la boule au ventre de savoir que cette nuit encore je dois retourner travailler, c’est la sixième que je fais d’affilée, sans repos. Certains me disent de me reposer, mais comment faire pour accepter de rester chez soi alors que c’est la guerre dans mon service ? Ma conscience professionnelle me pousse à aller travailler, à accepter le risque d’être au front alors que je suis épuisée et que tous mes proches s’inquiètent pour moi. Car oui, une infirmière n’est pas un super-héros, nous aussi nous avons des sentiments, des émotions, de la peur, nous sommes tous et toutes humains. Mais je prends une grande inspiration, et je décide de me lever pour aller aider mes patients qui sont entre la vie et la mort.

17h : (...) Je lis l’actualité [sur mon smartphone], je vois dans les médias que les mesures demandées par le gouvernement ne sont pas respectées, que les gens continuent à sortir, sans doute qu’il se sentent supérieurs à tout cela. S’ils savaient... Je lis les nombreux messages reçus par ma famille, par mes amies, par des connaissances parfois perdues de vue depuis de nombreuses années. ces messages me font chaud au cœur, ces petites attentions quotidiennes me donnent un peu de courage, tous me disent merci (...). Tous me disent de faire attention à moi. Mais comment ? Les heures s’enchaînent, les situations compliquées se multiplient, les décès arrivent en masse, la peur me gagne mais je ne veux pas lâcher la bataille. (...)

18 h : J’ai besoin de prendre des forces, mais comment faire ? D’habitude je vais voir mes amies, après quelques petites blagues balancées devant une bière, l’énergie revient. Mais confinement oblige, je sais que cela est impossible. (...)

19 h : Je sais que dans moins de deux heures, une longue nuit de travail s’annonce, j’ai peur, un nœud se forme dans mon ventre. (...) Je décide d’appeler une amie, pour la centième fois depuis le début de cette épidémie, elle me demande de prendre soin de moi, de me reposer, je sens à sa voix qu’elle a peur pour moi. (...)

20 h : Je prends ma voiture, je roule jusqu’au CHU où je travaille, en chemin je croise plusieurs personnes en train de courir, j’ai envie de m’arrêter et de les traiter d’inconscients (...) Dernière cigarette avant de s’enfermer pour 10 heures avec cette blouse blanche sur le dos. Je me change, j’ai l’impression de mettre une combinaison anti-émotions (...).

21 h : Je prends ma relève, ce soir je suis dans un secteur de cinq lits de réanimation. Nous sommes trois pour veiller sur nos patients. Deux infirmières et une aide-soignante. Cela, c’est l’effectif « standard » . On nous avait parlé d’effectif supplémentaire ? Mais où sont-ils ? Ah si, effectivement, je découvre que l’aide-soignante avec qui je travaille est en renfort dans mon service. À la base elle travaille en pneumologie. (...) C’est sa toute première nuit en réanimation.

22 h : Après 30 minutes pour expliquer à cette aide- soignante très très brièvement le fonctionnement du service, ce qu’est un patient de réa, je réalise que je suis en retard. Que je suis dans le service depuis une heure mais que je n’ai pas encore vu un seul de mes deux patients. (...).

(À suivre)