Santé

Le futur hôpital de Lens est sur les rails

Mais tout n’est pas gagné

par Philippe Allienne
Publié le 24 janvier 2020 à 12:43

Le nouvel hôpital de Lens faisait figure d’Arlésienne. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, vient de valider sa réalisation. C’est une bonne nouvelle assortie d’une rallonge de 90 millions d’euros. Pour autant, il reste de nombreuses questions.

La sénatrice communiste Cathy Apourceau-Poly ne cache pas sa satisfaction. La lettre d’engagement d’Agnès Buzyn, parvenue le 16 janvier, est pour elle « une belle et grande victoire, fruit de la mobilisation de l’ensemble des personnels, des syndicats, de la population et des élus », déclare-t-elle à notre confrère La Voix du Nord. Elle, qui n’a pas ménagé ses efforts pour obtenir le feu vert permettant la construction du futur hôpital, et pour fédérer les élus, rend hommage à Sylvain Robert, maire socialiste de Lens et président de l’agglomération, pour sa détermination dans ce combat. Pour sa part, le président de Région, Xavier Bertrand (LR) se dit soulagé parce que, maintenant, il n’est plus possible de revenir en arrière. Mais, prudent, il reste en attente du calendrier des travaux.

Car en effet, c’est une des premières questions qui se pose désormais. Le projet avait été acté en janvier 2015 pour une ouverture de l’établissement prévue en 2020. Une date repoussée d’un an dès 2017. Mais, une fois le permis de construire déposé et validé, en octobre 2018, le directeur du centre hospitalier de Lens parle d’une ouverture en 2023. S’en est suivi un long silence. On suppute sur 2024, ou 2025...

Attendre la seconde pierre

« Méfions-nous de la première pierre et attendons plutôt la seconde » prévient Jean Letoquart, élu communiste à Avion et infirmier urgentiste au Smur de Lens. On peut d’abord s’interroger sur l’ancienneté du permis de construire. Mais, au cas où il faudrait le renouveler, ce n’est pas un vrai problème. En revanche, la procédure d’appel d’offres est longue. Trois mois si c’est un appel national. Six mois s’il est au niveau européen. Aujourd’hui, les élus et les professionnels hospitaliers ne sauraient bouder leur plaisir à l’annonce de cette nouvelle. D’autant que l’on a cessé d’investir dans le centre hospitalier actuel. Seconde bonne nouvelle, la ministre de la Santé apporte une enveloppe supplémentaire de 90 millions d’euros. Cela double quasiment la subvention de 102 M€ validée en 2015. Avec un bémol, selon Jean Letoquart, les retards accumulés risquent d’entraîner un surcoût qui dévorera une partie de cette rallonge.

Un hôpital sous-dimensionné

Autre surcoût, justifié cette fois par le projet numérique et avant-gardiste du futur hôpital. Une rallonge de 28 M€ était attendue. Elle est englobée dans l’enveloppe de 90 M€. Au total, la construction portera sur un budget de plus de 280 M€. Pour le reste, le projet initial d’un hôpital de 570 lits demeure. On est très loin du vieux projet de grand CHU du Bassin minier avec un millier de lits. Il faut aussi savoir que l’actuel centre hospitalier comprend environ 870 lits. Mais la direction n’a jamais caché son désir de faire baisser ce nombre progressivement pour atteindre les 570 lits du futur établissement.

L’argumentation de la direction et de l’ARS a toujours été la même : le basculement vers la chirurgie ambulatoire et l’hospitalisation à domicile pour de nombreuses maladies chroniques. Sauf que, argumente Jean Letoquart, « la chirurgie ambulatoire ne peut concerner l’ensemble des patients, notamment dans l’ex-Bassin minier où la population est plus fragile que dans le 16ème arrondissement de Paris ! » D’autre part, le nombre de malades augmente et on ne peut appliquer la chirurgie ambulatoire de la même façon à toutes les disciplines : cardiologie, néphrologie, gériatrie, etc.

© Anna Grzelak

Concernant l’hospitalisation à domicile, il s’avère que cette option est beaucoup plus difficile sur ce territoire. Il faut que les familles disposent des moyens car, souvent, ce type d’hospitalisation passe par la médecine libérale. Et puis, pour prendre cet exemple, il n’est pas si simple de gérer une fin de vie chez soi. Il faut une famille prête et solide. Il faut aussi des services d’aide à domicile très qualifiés. Ils font souvent défaut. Enfin, les services médicaux d’hospitalisation à domicile ont les mêmes problèmes que l’hôpital : la pénurie de personnel. « Cela revient à ce que les uns et les autres se partagent leurs pénuries  », estime Jean Letoquart. Autrement dit, même en validant la réalisation d’un nouvel hôpital, indispensable pour ce territoire, l’État ne tient pas vraiment compte des besoins et spécificités locales.

Les effets GHT

Voilà qui ne permet pas d’espérer des évolu- tions importantes pour les services d’urgence. Le futur hôpital s’inscrit dans le cadre du Groupement hospitalier de territoire (GHT) qui fédère les établissements d’Hénin-Beaumont, Béthune-Beuvry, La Bassée et Lens. En principe, les GHT doivent permettre une meilleure répartition des compétences et des moyens, avec des spécialités dominantes pour chaque hôpital. En réalité, si l’on s’en tient au fonctionnement actuel des Smur, on s’aperçoit que l’on déshabille l’un pour habiller l’autre.

Le Smur de Lens, pour une population de 750 000 habitants, dispose d’une équipe jour et d’une équipe nuit alors que l’on veut en mettre le double à Béthune. Mais quand les urgences de Béthune dépannent Lens, il est forcément en insuffisance d’effectifs chez lui ! De la même façon, quand on ferme le service cardiologie de Béthune pour garder celui de Lens, il n’est pas dit que ce dernier dispose de suffisamment de lits. Alors, on envoie les patients à Lille.

« Des patients qui habitent en face du Centre hospitalier de Lens se retrouvent vite en zone blanche, c’est-à-dire à plus de 30 minutes des unités de secours. C’est ce qui existait au fin fond de la Creuse. Aujourd’hui, cela existe dans l’ex-Bassin minier », constate Jean Letoquart.

Une direction provisoire

Le directeur du CH Lens, Edmond Mackowiak, a été débarqué avec l’annonce de la réalisation du futur hôpital. Il est remplacé par une direction provisoire, une « task force », qui comprend deux inspecteurs de l’Igas de Paris (Inspection générale des affaires sociales). En général, un tel dispositif est rarement favorable au personnel dont il considère l’effectif sans état d’âme. Or, beaucoup d’agents ont déjà été remerciés. La CGT de l’établissement est curieuse de connaître la feuille de route de cette direction. Une chose est sûre, il sera très difficile de faire de nouvelles économies.