> Sylvie Decarnin, infirmière à Roubaix

« Le gouvernement nous a menti »

par Philippe Allienne
Publié le 30 avril 2020 à 12:17

Infirmière depuis 34 ans, Sylvie Decarnin travaille au service médecine gériatrique du Centre hospitalier de Roubaix depuis 15 ans.

« Il fallait faire des choix. » La phrase est dure et difficile à prononcer pour une infirmière, comme pour tout personnel soignant, même si c’est le corps médical qui prend les décisions. Depuis le début de la pandémie du covid-19, et face à l’affluence des patients, le service a ouvert un étage « covid gériatrique » pour y accueillir des personnes âgées, le plus souvent de 80 à 85 ans, et non prises en charge par le service de réanimation. Quand il s’agit d’intuber un malade, « entre un jeune et une personne âgée en détresse respiratoire, on prend d’abord les personnes plus jeunes qui ont des chances de survie plus élevées ». Mais cette réalité, avec son lot de décès et son caractère très expéditif est difficile à vivre pour le personnel soignant. « D’autant, explique Sylvie Decarnin, qu’il nous faut prévenir les familles qui vont être confrontées à la mort d’un proche dont elles apercevront, un court instant, juste le visage qui n’est pas recouvert par la housse. Le corps est ensuite très vite évacué vers la morgue. C’est brutal d’autant que les visites à l’hôpital ont été suspendues depuis le début du confinement. »

Pour les infirmières, le contexte est d’autant plus pesant qu’il leur faut aussi faire face à des familles qui veulent le rapatriement du corps au pays d’origine. C’est pratiquement impossible. À cela s’ajoute l’isolement : « Beaucoup d’entre nous ont fait le choix de s’isoler de leur propre famille pour travailler dans l’unité covid. »

L’unité « covid gériatrique  » du CH de Roubaix compte 14 patients* encadrés par deux infirmières et deux aides soignantes sur des postes de 12 heures, soit deux équipes qui se relaient jour et nuit. À l’étage « non covid  », ce sont des équipes de deux personnes (une infirmière et une aide-soignante, avec un horaire de 7 h 30). On devine aisément la fatigue physique quand on passe d’une plage de travail de 7 h 30 à 12 h, qui s’ajoute à la fatigue psychique. « En contrepartie, constate amèrement Sylvie, nous avons la reconnaissance du président de la République et la promesse d’une prime qui variera entre 500 et 1 500 euros mais dont on ne sait pas exactement qui sera concerné ni quand elle sera versée. »

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Car pour les moyens, c’est une autre histoire. S’il y a « ce qu’il faut pour l’unité covid, ailleurs, les masques sont en quantité tout juste suffisante ». Il n’y a pas assez de sur-blouses (il faut les laver régulièrement). Des dons ont permis de récupérer quelques visières et des masques alternatifs pour l’extérieur. « La vraie reconnaissance, elle nous vient des familles et du public en général. Les dons des particuliers sont précieux. Les petits geste aussi, comme ces chocolats qui nous ont été offerts à l’occasion des fêtes de Pâques. »

Hors du contexte douloureux de la pandémie, les choses demeurent les mêmes et le personnel, comme les patients, paient le prix de la casse de l’hôpital public. « L’hôpital public peine à recruter des infirmières, mais à force d’amputer les moyens, il n’a plus rien d’attractif. Une infirmière débutante doit d’abord faire deux ans de CDD avant d’accéder à un CDI. Son salaire est de 1 500 euros net pour des horaires et des conditions de travail désavantageux par rapports à ceux de nos voisins belges où un débutant gagne 400 euros de plus. » Avec une expérience de près de 35 ans, Sylvie Decarnin perçoit un salaire net de 2 500 euros.

Après la crise du coronavirus, nul doute que le personnel hospitaliser demandera des comptes. « Nous sommes en première ligne et sans moyens suffisants. On nous a menti sur la réalité des masques. Des collègues jeunes ont été intubés avec un processus vital engagé. Cela fait vingt ans que l’on rogne sur les moyens et aujourd’hui on nous envoie à la “guerre” sans fusil. On nous prend pour des imbéciles. Nous ne sommes pas là pour jouer à la roulette russe. Nos revendications d’avant la pandémie demeurent plus que jamais. »

*Entretien réalisé le 24 avril.