Entretien avec Sébastien Prat, en médecine générale

Pour la faire courte sur la chloroquine

Crise sanitaire

par Franck Jakubek
Publié le 3 avril 2020 à 11:00 Mise à jour le 13 avril 2020

Le gouvernement a finalement autorisé le traitement proposé par le professeur Raoult de l’IHU de Marseille pour les patients hospitalisés.Les études cliniques étant toujours menées en parallèle comme pour toute thérapeutique. Quels que soient vos symptômes, la première personne qui peut émettre un diagnostic c’est un médecin et plus particulièrement votre médecin personnel. Comme pour toute pathologie, l’automédication présente des risques certains. Nous recommandons à nos lecteurs de prendre soin d’eux et de s’en remettre à la médecine pour leurs soins, pas aux indications des animateurs de la télévision quels qu’ils soient. Sébastien Prat, interne de médecine générale dans le Cantal, souhaite que la raison l’emporte rapidement. Et que les efforts portent sur la résolution des problèmes pratiques.

Que savons-nous de l’hydroxychloroquine ?

L’hydroxychloroquine est connue et maîtrisée pour le traitement du paludisme mais aussi en traitement préventif lors de voyages en zones à risques. Cela marche depuis très longtemps. Un médicament, quel qu’il soit, n’est jamais anodin. Il comporte des effets indésirables, des interactions avec d’autres médicaments, des possibilités de surdosage ou d’usage détourné.

Pourquoi avons-nous le sentiment que les décisions tardent à être prises ?

Le Covid-19 est un virus que personne n’avait vu arriver. Tout le monde s’est trompé en pensant que c’était une grippe simple. Cela crée de la psychose chez beaucoup de gens, relayée par les médias qui martèlent et un gouvernement qui dit que nous sommes en guerre. Tout ceci ne doit pas nous faire oublier que la médecine et les soins sont une science. Et pas seulement un art comme nous l’enseignent nos professeurs de médecine. La science impose un raisonnement scientifique et une méthode. On ne peut pas faire ce que l’on veut avec un médicament, même si on le connaît bien. Il faut des essais avec plusieurs patients, des statistiques, des analyses poussées...

Ne sommes-nous pas dans une situation urgente, angoissante ?

Ce n’est pas parce que nous sommes dans une situation d’urgence qu’il faut se raccrocher au premier espoir que l’on nous tend et foncer dans des raisonnements binaires : ça marche ou ça ne marche pas. À l’heure actuelle, personne n’a démontré scientifiquement que la Nivaquine [nom du médicament, NDLR] était efficace, personne. Personne non plus n’a démontré que la Nivaquine n’était pas efficace.

Que disent les études en cours ?

Le danger est de faire n’importe quoi : en donner à tout le monde sans études poussées et fiables. Il faut des preuves et des bases solides pour pouvoir délivrer ce médicament. Il peut entraîner des troubles visuels, des troubles hépatiques et du com- portement. Toutes les études réalisées ne font pas ressortir une efficacité de l’hydroxychloroquine. Trop peu de patients sont inclus dans les études.

Les contre-indications sont-elles importantes ?

En effet, associé à certains anti dépresseurs, il est contre-indiqué... On ne peut pas faire comme si c’était du sel ou du sucre. Dépassionnons le débat public. Pour l’instant, le Covid-19 se soigne en traitant les symptômes seulement. Il faut surveiller étroitement les patients porteurs ou suspects de l’être et agir en cas de complications.

Que pensez-vous du professeur Raoult ?

Je le connais seulement dans ce que les médias en font. C’est un éminent médecin et un éminent infectiologue. Son passé et ses qualités ne lui permettent cependant pas d’escamoter nos règles de société,d’éthique et de science en termes d’essais cliniques et de contrôle. Nous ne pouvons attendre un miracle. Il faut des preuves, des preuves et encore des preuves. Quoiqu’il en soit, ce débat fracture la société et c’est très malheureux. Il nous fait oublier que notre société capitaliste n’est pas à la hauteur pour faire face à une crise sanitaire de cette ampleur et ne protège pas les populations de dangers sanitaires mondiaux. Ce débat réduit le raisonnement scientifique à l’apparence d’un homme et à ses origines, c’est bien triste.

Qu’attendez-vous des politiques ?

Qu’ils prennent des décisions prioritaires pour la santé publique. Par exemple, je suis pour la production en masse de la Nivaquine. Si on prouve que c’est utile et que ça marche dans le traitement contre le Covid-19, tant mieux. Nous en aurons en stock et pourrons en prescrire. Sinon tant pis, mais mettons toutes les chances de notre coté. Pareil pour les masques et les tests dont nous sommes insuffisamment approvisionnés. Nous manquons des moyens essentiels pour faire face au niveau national.