L’hôpital privé contre l’hôpital public

Une nébuleuse dangereuse

Santé

par Philippe Allienne
Publié le 31 janvier 2020 à 15:40 Mise à jour le 10 février 2020

L’hôpital public va mal. La crise des urgences cache un malaise beaucoup plus profond. La recherche des économies et la vision budgétaire du gouvernement font fuir la médecine vers le secteur privé qui a su sentir le vent venir. Exemple avec l’opérateur de cliniques privées Ramsay et son réseau d’établissements en France et dans la région.

« Vous êtes médecin ? Vous souhaitez rejoindre l’un des établissements du Groupe Ramsay Générale de Santé ? Remplissez le formulaire en ligne et entrez en contact avec les directeurs d’établissements Ramsay Générale de Santé. » Voilà ce que l’on peut lire sur le site de Ramsay Santé (nouveau nom depuis l’an dernier de Ramsay Générale de Santé). Cet opérateur australien se présente comme le premier groupe d’hospitalisation privée en France. Il est fortement implanté dans les grandes métropoles, comme la métropole lilloise où il possède la plupart des cliniques ou hôpitaux privés. Ce sont les premiers arguments qu’il développe pour attirer les médecins. De nombreux autres suivent : première communauté médicale libérale, toutes les spécialités médicales et chirurgicales y sont représentées, tous les patients et toutes les pathologies peuvent y être pris en charge, etc. Les médecins candidats sont assurés d’un accompagnement personnalisé au moment de leur installation et le groupe leur vante sa capacité à l’innovation.

Comment rêver mieux quand on exerce la médecine ou que l’on est infirmier ou sage-femme dans un hôpital public à bout de souffle, qui réclame des moyens improbables et dont le personnel soignant clame sa souffrance ? Par exemple, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient de désigner 2020 comme l’année internationale des infirmières et des sages-femmes. Qu’à cela ne tienne, Ramsay Santé a fait aussitôt savoir qu’il « souhaite mettre à l’honneur ses personnels soignants et saluer ainsi leur rôle essentiel auprès de nos patients ». Le privé, Ramsay en l’occurrence, se pose en meilleur des mondes.

Des actes chirurgicaux rentables uniquement

Selon le Dr Patrick Goldstein, patron iconique des urgences du CHU de Lille, plus de 60 % des actes chirurgicaux lillois se font désormais dans le privé. Le site internet de Ramsay Santé ne compte pas moins de 21 établissements dans les Hauts-de France, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, dont 11 cliniques, 5 hôpitaux privés et 5 centres d’imagerie médicale et de radiothérapie. On constate une grande concentration dans la métropole lilloise (50 % des établissements privés du groupe). Parmi eux : Ambroise-Paré, La Louvière, Le Bois (Lille), Val de Lys (Tourcoing), St-Jean (Roubaix)...

« On parle bien d’actes chirurgicaux, c’est-à- dire ceux qui rapportent », explique Jean Letoquart, infirmier urgentiste et syndicaliste à l’hôpital de Lens. Il va de soi que les actes en gérontologie, pécuniairement moins juteux, n’intéressent pas le privé. Exemple, à Lens, le centre hospitalier ne pratique presque plus d’opérations sur les végétations (amygdales). Le privé s’en charge avantageusement. À Rouvroy (62), la clinique Bois-Bernard accueille volontiers les opérations cardiaques. Ce sont des actes onéreux mais très bien remboursés par la Sécurité sociale. Pas de raison de se... priver. Ramsay Santé a racheté la plupart des petites cliniques qui marchaient bien. Elle a aussi voulu racheter la société familiale d’ambulances Pokker, dans le Pas-de-Calais. Celle-ci a refusé. Pas de problème, Ramsay rachète les petites sociétés et construit un ensemble concurrentiel.

C’est bien tout l’enjeu d’aujourd’hui. Il y a peu, on craignait juste la fuite du public vers le privé. «  Maintenant, c’est à de grands groupes que le public doit se confronter. Or, la politique du gouvernement, incarnée par la ministre de la Santé Agnès Buzyn, consiste bien à remettre notre outil de travail à la disposition de groupes comme Ramsay  », analyse Jean Letoquart. Qu’adviendra-t-il de ces établissements quand le monopole privé ainsi constitué voudra se désengager ? Que se passera-t-il quand la loi du marché aura définitivement transformé la santé en business, avec une médecine pour ceux qui en auront les moyens et une autre, pour les pauvres ?

Ramsay Santé en six étapes

En 30 ans, le groupe Ramsay Santé est devenu l’un des leaders européens de la prise en charge globale du patient.

1987. Création de la Générale de Santé par la Compagnie générale des eaux.

2010. Le groupe d’hôpitaux privés australien Ramsay Health Care crée Ramsay Santé en France en rachetant 8 cliniques avec le soutien du Crédit Agricole.

2015. Fusion de la Générale de Santé avec Ramsay Santé créant le nouveau groupe Ramsay Générale de Santé.

2016. Rachat du groupe Hôpital Privé Métropole (HPM) qui fait de Ramsay Générale de Santé le seul acteur hospitalier privé de la Métropole Lilloise.

2018. Rachat du groupe Capio AB qui fait de Ramsay Générale de Santé l’un des leaders européens de la prise en charge globale du patient.

2019. Le groupe Ramsay Générale de Santé change de nom et devient Ramsay Santé.

Un groupe qui pèse plus de 2 milliards d’euros

Filiale du groupe australien Ramsay Health Care, Ramsay Santé se présente comme l’un des leaders européens de la prise en charge globale du patient. Cancérologie, nutrition, obésité, maternité, complications vasculaires, infections néo-natales bactériennes, traitement des acouphènes, etc. il peut intervenir sur toute la chaîne de santé. Même sur les urgences par délégation de service public. Mais s’il séduit nombre de professionnels, il n’en demeure pas moins un groupe qui repose sur le profit. Les pathologies qu’il préfère sont celles qui rapportent le plus. Le groupe Ramsay Santé, c’est 23 000 salariés dont 18 000 soignants (6 000 médecins). Le groupe le dit avec force : « Nous sommes l’un des principaux employeurs des territoires où nous sommes implantés. » Il recrute 2 300 personnes par an. Il exploite environ 120 établissements en France. En 2017, son chiffre d’affaires s’élevait à 2,2 milliards d’euros pour un résultat de 266 millions d’euros. Son capital est détenu à 50,9 % par la maison mère australienne et à 38,4 % par Prédica, filiale du Crédit Agricole.