À la fin de la semaine dernière, à Amiens, il régnait une chaleur tropicale, ce qui n’a pas empêché la Fête dans la Ville, avec ses nombreux spectacles de rue. À la MJC, c’était en plus la 30 ème édition de Leitura Furiosa, une initiative littéraire d’un genre très particulier. J’ai eu le plaisir d’y participer avec une quinzaine d’autres écrivains. Ce qui fait l’originalité de ce festival, c’est qu’on n’installe pas les auteurs derrière une table à attendre le chaland. On les envoie au taf ! C’est Le Cardan, une association de lutte contre l’illettrisme qui se bat pour ce qu’on appelle pudiquement les personnes éloignées de la lecture et de l’écriture qui est à l’origine de l’initiative. Cela commence le vendredi : les écrivains sont toute la journée en compagnie de ces publics. Pour ma part, c’était un groupe de mineurs isolés, qui venaient pour l’essentiel de Côte d’Ivoire et de la République démocratique du Congo. Au bout de la journée, l’écrivain doit produire un texte de deux feuillets sur cette rencontre. Avant minuit, pour qu’il puisse être mis en page le lendemain dans un cahier spécial inséré dans Le Courrier picard du dimanche et, aussi, traduit et envoyé du côté de Lisbonne et Porto où se déroule simultanément la même opération. Derrière la performance - bravo à tous les bénévoles – c’est un véritable bonheur que de partager, de rencontrer, de faire parler et de traduire les choses qu’ont à nous dire ceux à qui on ne demande jamais leur avis. Mon groupe avait des histoires terribles à raconter, surtout quand on a 16 ans, des histoires de traversées dangereuses comme nous l’a rappelé l’actualité récente avec le naufrage d’un bateau de migrants au large de la Grèce. Mais il y avait aussi ce bonheur d’être au monde malgré tout, les souvenirs d’enfance, les espoirs en l’avenir. Le rire a vaincu les larmes, on a pu mettre des mots sur l’indicible. Leitura furiosa est formidable parce que c’est à la fois une fabrique de l’émancipation et une utopie concrète. De quoi, en plus, faire cauchemarder le spectateur de CNews, ce qui est toujours bon à prendre.