Transports publics gratuits

Lille prépare son tour

par Franck Jakubek
Publié le 13 septembre 2019 à 15:16

La voie ouverte par Patrice Vergriete, avec la gratuité des transports publics sur la communauté urbaine de Dunkerque, n’en finit plus par ondes de s’étendre. On en finirait par oublier que c’est Châteauroux, dans l’Indre, qui la première a introduit le débat et bouleversé les habitudes. En 2001, Jean-François Mayet, maire de la ville, prend le risque et saute le pas de la gratuité. Incivilités, craintes pour l’emploi, manque à gagner... rien ne lui est épargné par les opposants. Il essuie les plâtres et aujourd’hui, tout le monde s’en réjouit.

C’est donc pour ça que les deuxièmes rencontres des transports gratuits ont eu lieu, après Dunkerque l’an dernier, à Châteauroux cette année parce que maintenant la réflexion a encore dépassé un cap avec la mise en service prochaine de bus fonctionnant à l’hydrogène. Un procédé que des Dunkerquois, comme Marcel Croquefer , veulent promouvoir.

L’approche écologique est plus pratique que dans l’air du temps. Au Québec comme en Estonie, les réflexions avancent. Si dans la Belle Province, une seule commune a pour l’instant sauté le pas, en Estonie, c’est le pays tout entier qui a basculé dans la gratuité depuis juillet 2018.

La capitale Tallin applique le concept depuis 2013. Les liaisons inter-urbaines sont concernées désormais même si toutes les villes n’ont pas encore validé le projet.

En Estonie, la gratuité c’est fait

C’est un effort louable qui laisse à penser que l’exemple dunkerquois pourrait encore faire des émules dans la région, voire à la région ? Rien n’est moins sûr. Les difficultés sont déjà grandes pour faire bouger la SNCF sur ses projets de fermetures de lignes. D’un coup, on se prend à imaginer un débat entre Violette Spiellebout, directrice de la communication de l’opérateur dans le civil, et Martine Aubry sur ce thème. Et puis, on chasse cette image.

De ce côté, pas de doute, Martine Aubry a tiré la première. Elle a bien confirmé sa volonté de faire avancer les mentalités de ce côté là.

« Je suis moi pour les transports en commun gratuits et je l’ai dit plusieurs fois en communauté urbaine, » nous rappelle-t-elle tout en taclant ses adversaires en passant : « je n’ai pas attendu ces derniers temps où tout le monde se précipite, y compris la droite ». « De toute façon, il est impossible de faire autrement, c’est une évidence si on veut diminuer la place de la voiture, baisser la pollution, améliorer les conditions de vie des gens... ».

Les bus, tramways et équipements du métro ont été rhabillés d’une nouvelle livrée aux couleurs d’ilévia, le nouveau nom de Transpole. Photo Albert Lammertyn
© crédit Albert Lammertyn

Un échange de courriers la semaine dernière avec le président de la Mel Damien Castelain est venue conforter cette information. Martine Aubry a profité d’une visite de Dunkerque avec le groupe socialiste de la Mel pour relancer le sujet mais son opinion est faite. Pas question cependant de brûler les étapes, ni de faire de la démagogie en pleine période électorale.Son annonce tombe pile-poil au moment où LREM annonce qu’elle n’enverra personne au casse-pipe face à Patrice Vergriete.

Gratuité mais pas gratuite

Première étape, une gratuité ciblée vers les moins de 18 ans, les étudiants, les seniors, les personnes handicapées et les jours de pic de pollution. Il faut dire qu’il s’agit, depuis les modifications tarifaires de 2004 et 2012, des catégories qui ont le plus à se plaindre des nouveaux tarifs.

Au niveau du mode opératoire, le président de la Mel a précisé par courrier qu’il était prêt au débat sur la gratuité mais un obstacle majeur de 100 millions d’euros reste à dépasser pour arriver à la gratuité pour tous. Il s’agit bien, selon Martine Aubry, d’une somme que la Mel devra verser à Keolis, l’opérateur en charge du réseau.

Même si la maire de Lille avoue bien avoir une petite idée pour trouver cette somme, elle s’est bien gardée pour le moment de nous la confier. Mais surtout nous dit-elle, c’est le premier des deux obstacles majeurs à surmonter.

Ensuite, le retard de livraison des double-rames du métro, pour lequel Alstom serait toujours bien en peine de donner un délai. Damien Castelain a réussi à leur arracher des indemnités telles que prévues dans la convention. Mais le réseau est saturé, il faut un peu d’air pour les passagers. Comment donc passer à la gratuité si la place manque dans les rames s’interroge Martine Aubry : « Ils ne sont pas capables de nous donner une date précise mais nous sommes plus près de la fin que du début » , tente-t-elle de nous (se ?) rassurer.

A quand les rames ?

En attendant, elle nous confirme que la Mel programme pour les prochains jours une réunion de travail avec tous les groupes politiques pour mettre sur la table toutes les incidences financières des premières mesures de gratuité vers les populations ciblées. L’autre point positif est la mise en place du schéma directeur des infrastructures de transport (SDIT), un dossier sur lequel la ville de Lille a bien travaillé et qui vient d’être voté en conseil communautaire, avec de nouvelles lignes à haut niveau de service, un tram, etc. Et la nécessité d’avancer en tenant compte de tous les éléments d’interconnexion, d’accessibilité, de partenariats et d’équilibres des territoires qu’il faut mettre en œuvre pour gagner la gratuité sur tout le territoire. « Il faudra bien un an pour y parvenir », prévient-elle.

Pas du genre non plus à annoncer « demain on rase gratis », la maire de Lille se méfie des déclarations en période électorale. Nous aussi, ça tombe bien. Est-ce que du coup Martine Aubry envisagerait de reprendre les rênes à la communauté urbaine ? «  Si nous n’avons que 20 % des élus, nous aurons du mal » , balaie-t-elle «  et voyons d’abord si je suis candidate à Lille avant de savoir ce que nous ferons à la Métropole  ».

L’annonce est repoussée de quelques semaines, comme dans nombre de grandes villes, « mais la décision est prise » confirme l’élue de Lille débordée. « Mais je n’attendrais pas décembre comme Hidalgo » pique-t-elle au passage. Quoi qu’il arrive, Lille sera-t-elle la première métropole avec tramway et métro à être gratuite en France ? Un point d’appui supplémentaire pour participer au prochain prix de la Capitale verte Européenne. C’est le vœu de plus en plus de citoyens. Et le nôtre également.