Histoire

En 1948, les mineurs défendaient leur honneur et leur droit de vivre

par PIERRE OUTTERYCK
Publié le 9 novembre 2018 à 14:53 Mise à jour le 13 novembre 2018

Les années 1947-1948 sont marquées par un retournement des alliances nouées contre l’extrême droite fasciste ; c’est le début de « la guerre froide ». Le gouvernement français, dirigé par la SFIO, veut mener une lutte sans merci contre les conquêtes démocratiques, les conquis sociaux et la place occupée par les syndicats. Dès décembre 1947, il renforce fortement son appareil de répression sur les plans policier et juridique.

En septembre 1948, le ministre du Travail, Robert Lacoste, promulgue trois décrets visant les mineurs, bien qu’ils aient joué un très rôle important dans la Résistance populaire, qu’ils se soient mobilisés sans compter pour accroître la production de charbon, « pain de l’industrie » ! Robert Lacoste veut licencier 10 % du personnel, réduire fortement le rôle des syndicats dans les commissions paritaires, et remettre sous la coupe des Charbonnages de France les médecins des mines alors que sévit la silicose… En fait, le statut des mineurs et le rôle des syndicats, durement conquis, sont remis en cause !

Fin septembre, la CGT organise un vote à bulletin secret parmi tous les travailleurs de la mine. La participation au scrutin est massive : 90 % des mineurs optent pour la grève contre les décrets Lacoste ! Le 4 octobre, tous les bassins sont en grève ! Malgré le choix démocratique des mineurs, Jules Moch cherche l’épreuve de force et politise le conflit ! Son objectif n’est-il pas de briser tout la CGT mineurs ? Dès le 5, les CRS occupent les mines de Moselle. Le 7, le mineur Jansek est sauvagement tué par des CRS... Le gouvernement utilise presses écrites, radios et interventions des préfets pour briser la mobilisation. Utilisant l’anticommunisme, il s’appuie sur la CFTC et FO, issue d’une scission au sein de la CGT, pour diviser les mineurs et les opposer les uns aux autres. Tout est mis en œuvre pour isoler les grévistes et la CGT ! La décision prise par la Fédération des travailleurs du sous-sol de suspendre les mesures de sécurité va offrir à Jules Moch un argument supplémentaire pour dénoncer « ces mauvais Français, manipulés par l’URSS, que sont les mineurs ».

Trois mille arrestations

Bientôt, l’armée occupe tous les bassins miniers y compris avec des véhicules blindés. Plusieurs mineurs sont tués. Plus de trois mille d’entre eux sont arrêtés. Beaucoup se remémorent les répressions durant l’Occupation ! Les mineurs étrangers sont menacés d’expulsion (lire page 14). Malgré un vaste mouvement de solidarité national et international organisé par la CGT, le Parti communiste et entre autres le Secours populaire (accueil de 8000 enfants de grévistes), Jules Moch asphyxie la grève qui s’achève le 29 novembre. Des « Gueules noires » sont jetées en prison. 2783 mineurs sont condamnés dont 1342 à de la prison ferme. Cela ne suffit pas ! Le ministre de la Justice, André Marie, exige de nouveaux procès et des peines plus lourdes…

Les licenciements se multiplient… Impossible de retrouver un travail dans ces régions minières vu l’emprise des Charbonnages de France, entreprise d’État. La misère s’installe et l’échec de la grève pousse les mineurs au silence et parfois à la honte.

Une commission sur la mémoire et l’histoire des mineurs

Aujourd’hui, les mineurs de 1948 et leurs familles continuent le combat, remettant en cause répressions et discriminations exigeant réparations et réhabilitations. En 2015, Une commission a été installée par Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, pour travailler sur à la mémoire et l’histoire des mineurs grévistes. Baptisée commission Norbert Gilmez, eu égard au long combat de celui-ci pour la réhabilitation des droits de ses anciens camarades, ce groupe aux profils variés ne veut, à juste titre, rien céder. Qu’attendent le gouvernement, le Président de la République pour faire droit aux mineurs et à leurs familles ?

L’Institut Universitaire Varenne était présent à la Fête de l’Humanité présentant un beau documentaire contenant des témoignages de mineurs et des analyses de ce conflit du point de vue juridique. De plus, l’institut va publier dans les semaines à venir un ouvrage regroupant des travaux d’historiens, de juristes, de philosophes, d’anthropologues… Il a décidé aussi d’éditer un magazine grand public favorisant la connaissance de cette grève et des combats menés pour la réhabilitation des mineurs réprimés.