Ne jamais oublier

L’enfer, c’est les hommes

Mémoire des victimes de l'holocauste

par Franck Jakubek
Publié le 24 janvier 2020 à 18:27 Mise à jour le 9 février 2021

Pendant qu’Emmanuel Macron est à Jérusalem pour jouer la doublure de Jacques Chirac dans les lieux saints, il est bon de replacer l’horreur à sa juste hauteur. Le gouffre de la guerre, de la violence et de la haine est toujours prêt à s’ouvrir sous nos pieds. Retour sur l’horreur absolue du XXème siècle, la mort industrielle mise en œuvre par les nazis contre les juifs, les tsiganes, les Slaves, les communistes... Une liste de morts aussi effroyable qu’insensée.

Il y a 75 ans, le 27 janvier 1945, l’armée rouge libérait le camp d’Auschwitz. L’horreur sans nom explosait à la face de soldats de vingt ans. Ils en avaient déjà vues pourtant beaucoup des horreurs. Pour les survivants des camps, cette libération ne signifiait pas pour autant la fin du calvaire. Beaucoup moururent encore des suites des mauvais traitements, du typhus, des maladies, de la faim qui avait rongé les corps aussi sûrement que les âmes. Les survivants des camps de la mort nazis mirent longtemps à parler. D’abord, la survie, l’hébétude de se retrouver dans le monde des vivants. Un monde dont ils étaient tenus éloignés depuis si longtemps. Lili Leignel, déportée à 11 ans, a attendu les années 80 pour raconter son histoire. Les thèses révisionnistes fleurissent alors, et l’une d’elle est même récompensée à la faculté de Lyon. « Un comble » s’insurge-t-elle alors. Et elle décide, comme Yvonne Abbas, résistante déportée également, de témoigner auprès des collégiens. Comme un devoir. « Je crois que c’est pour ça que j’ai survécu, pour pouvoir témoigner  » nous confiait-elle en mai 2015 [1].

Lili Leignel nous avait accordé une interview en 2015
© Franck Jakubek
Lili Leignel. Combattre le racisme

Pour cette (encore) jeune octogénaire - 87 ans -, la vie a basculé un matinde 1943. À 11 ans, la voilà déportée à Ravensbrück avec ses parents et ses deux petit-frères de 9 et 3 ans. Témoin de l’horreur des camps nazis, elle est une des dernières survivantes de la déportation dans le Nord. Elle fait régulièrement des exposés auprès du public adolescent, principalement au collège. En 2017, elle a sorti un ouvrage sur son expérience.

Je suis encore là, Lili Leignel avec la contribution de Loïc Cattiaux et des illustrations de Gaëlle Soares, Copymedia®, septembre 2017, ISBN-13 : 979- 1069910119.

En France, les premiers déportés politiques furent les mineurs grévistes, principalement ceux identifiés comme meneurs par les autorités françaises et livrés aux nazis. Ils y eut aussi les étrangers venant d’Allemagne, les républicains espagnols réfugiés qui bâtirent de leur sang Mauthausen. Pétain, indigne vieillard, corrigea de sa main le décret permettant aux forces de police de rafler pour les nazis, les juifs. Avant même qu’Hitler, qui, à l’entrevue de Montoire, n’avait fait qu’apercevoir celui qu’on appelait alors le vainqueur de Verdun, ne lui en donne l’ordre. Le système concentrationnaire nazi était déjà bien à l’œuvre depuis l’avènement du führer en 1933. Les communistes, les socialistes, les syndicalistes, les chrétiens, tous les opposants en fait, avaient été déportés vers des camps spéciaux. Ainsi que les tsiganes, les juifs, tous ceux que les nazis considéraient comme à écarter définitivement des Allemands, pour protéger la pureté aryenne. Les malades mentaux et les personnes souffrant de handicap avaient fait l’objet dès le début du régime d’un traitement spécial. Sous couvert de science, avec l’assentiment tacite ou sous le coup de la peur, les responsables des établissements qui les accueillaient furent contraints de les confier à des équipes spécialisées qui procédaient à leur euthanasie, par asphyxie au gaz dans des camions préparés à cet effet. Leurs exécuteurs formèrent l’embryon d’autres escadrons de la mort quand l’Allemagne nazie décida d’envahir la Russie, les Einsatzgruppen, dont la mission était de « libérer » l’arrière des troupes de toute présence communiste, juive ou de race slave inférieure. C’est le début de la Shoah par balles au cours de laquelle l’Europe centrale vit disparaître toutes les populations listées par les nazis. Un immense pogrom à l’échelle de toute la partie est du continent, du nord de la Roumanie aux pays baltes, qui fit disparaître des centaines de milliers de familles, corps et âmes. C’est à Wannsee, le 20 janvier 1942 que les grandes lignes de la Solution finale sont mises sur le papier par Eichmann, mais le processus est déjà en cours depuis octobre 1941 lorsque Himmler interdit définitive- ment l’émigration des juifs d’Europe. Le premier camp d’extermination est ouvert dès décembre 1941 en Pologne. Le camp d’Auschwitz - en allemand - est créé par Himmler en avril 41, à Oświęcim en Pologne. C’est dans ce pays que les Allemands décident d’implanter leurs principaux camps. Au grand dam des Polonais d’aujourd’hui qui, du coup, portent difficilement un héritage compliqué. L’ingéniosité cynique des scientifiques nazis pour rentabiliser l’activité de celles et ceux qu’ils voulaient faire mourir a fait l’objet de nombreux ouvrages. Dans les camps-usines destinés à l’industrie du « grand Reich » les portions alimentaires étaient réduites graduellement pour ne pas nuire à la productivité des esclaves et assurer une survie relative jusqu’à leur remplacement. Les esclavagistes américains avaient laissé des tas d’idées amplement réemployées donc.

Le déchaînement raciste va entraîner la mort de près de six millions de juifs d’Europe, soit près de 70 % de la population d’avant- guerre. En Allemagne, en Autriche, en Pologne et dans les pays baltes, 90 % de la population de confession juive a disparu. En Pologne, sur 3,3 millions avant-guerre, ils sont à peine 300 000 à la Libération. Idem en Bohême-Moravie et dans les provinces de l’ex-Tchécoslovaquie. Une note d’espoir dans tout ça ? À la Libération du camp de Theresienstadt, le 8 mai 1945, un étudiant tchèque identifie Robert Desnos parmi les prisonniers malades. Malheureusement, ça ne suffira pas, malgré les soins qui lui sont prodigués, il décédera quelques semaines plus tard. L’enfer nazi avait fait son œuvre.

À lire absolument et à faire lire :

—  Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt, Poche, 11,50 euros.
—  Les assassins de la mémoire , Pierre Vidal-Naquet, 1987, éditions La Découverte, 11 euros.
—  Des Tsiganes vers Auschwitz, le convoi Z du 15 janvier 1944, Monique Heddebaut, 2018, éditions Tirésias- Michel Reynaud, 27 euros.
—  La mort est mon métier , Robert Merle, Folio, 8,50 euros.
—  Si c’est un homme, Primo Levi, Pocket, 6,40 euros.

Notes :

[1Voir Liberté Hebdo numéro 1172 du 22 mai 2015, page 4, L’horreur des camps et les questions des enfants.

par Franck Jakubek