Pologne

Le centenaire d’une indépendance recouvrée

par Jacques Kmieciak
Publié le 23 novembre 2018 à 11:39 Mise à jour le 24 novembre 2018

Le 11 novembre dernier à Varsovie, les « nationaux-catholiques » du parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir et les phalangistes de l’ultra droite célébraient, dans le même cortège, le centenaire de l’indépendance de la Pologne. Le 11 novembre 1918, après cent vingt-trois ans d’occupation, la Pologne renaissait enfin de ses cendres. L’historien Bruno Drweski revient sur un enfantement douloureux.

En 1918, dans les milieux polonais, la revendication de l’indépendance allait-elle de soi ?
En 1918, la revendication du droit à l’autodétermination était générale. Tous les partis polonais, et même les juifs de Pologne, mais de façon moindre, étaient pour la création d’une entité polonaise. Cependant la forme qu’elle devait prendre et les relations que la Pologne devait entretenir avec les États voisins restaient souvent floues car toute l’Europe située entre l’Allemagne et la Russie était alors en plein bouleversement. Personne alors ne pouvait savoir ce qui allait se passer et quels courants politiques allaient prendre le dessus.

L’historien Bruno Drweski.

Comment se positionnaient les communistes polonais ?
Le Parti communiste ouvrier de Pologne (KPRP) a été fondé en janvier 1919 à partir de deux organisations socialistes (le SDKPiL fondé par Rosa Luxembourg) et la gauche du Parti socialiste polonais (PPS-lewica) favorables tous deux à la révolution russe dès octobre 1917. Les communistes souhaitaient une République polonaise des conseils associée à d’autres républiques similaires (russe, ukrainienne ou allemande et hongroise). Ils étaient persuadés que la Révolution était en train de gagner en Russie, en Allemagne et en Hongrie et que la Pologne allait rejoindre une imminente République mondiale des soviets. Cette posture explique que les autres partis polonais aient dénoncé les communistes comme opposés à l’indépendance de la Pologne ; ce qui ne correspond pas à la réalité.

Quelle vision de l’indépendance ces partis portaient-ils ?
Tous les autres partis polonais souhaitaient l’établissement d’un État polonais de démocratie parlementaire sans lien officiel avec les anciens États (Allemagne, Autriche-Hongrie, Russie) s’étant partagés auparavant la Pologne, quelles que soient par ailleurs leurs divergences sur la question du système politique et social du nouvel État polonais.
A l’époque, les choses n’étaient pas très faciles à discerner tant au niveau des masses que des militants car la Pologne était située à mi-chemin entre le foyer révolutionnaire russe et allemand, et aucun parti, socialiste ou communiste, ni même agrarien ou nationaliste de droite, n’osait à l’époque s’opposer publiquement aux principes socialistes. D’ailleurs, le 11 novembre 1918 quand l’Organisation militaire polonaise clandestine dirigée par les partisans de Jozef Pilsudski prit le contrôle de Varsovie, c’est un drapeau rouge qu’on fit flotter au sommet du château Royal de Varsovie.
Lors de la campagne électorale de janvier 1919 toutes les formations politiques ont adopté des slogans typiquement socialistes, même ceux des partis de droite qui véhiculaient des sous-entendus conservateurs et religieux. Ces principes socialistes allaient aussi être pour beaucoup inscrits dans la constitution de 1921.

Quid du positionnement des puissances étrangères ?
Les puissances occidentales, et même l’Allemagne qui venait de capituler, reconnaissaient le principe de l’indépendance polonaise, mais avec des imprécisions radicales quant aux frontières de cet État. Les États occidentaux (France, Royaume-Uni…) qui intervenaient alors dans une Russie en guerre civile souhaitaient avant tout la chute des bolcheviks et la restauration d’une puissance russe alliée sur le modèle de 1914. Aussi souhaitaient-ils une Pologne limitée territorialement et associée à cette Russie blanche-là dont aucun Polonais, de gauche ou de droite, ne voulait.
Pour contrer les bolcheviks en revanche, les Occidentaux pouvaient exciter les Polonais contre eux en leur promettant une extension territoriale maximum, chose qu’on pouvait d’ailleurs envisager comme la moins mauvaise solution si jamais les bolcheviks gagnaient définitivement la guerre civile russe et forçaient du coup les armées occidentales à quitter leur pays... La Pologne était donc un pion qu’on pouvait utiliser, favoriser ou au contraire sacrifier en fonction de l’évolution des rapports de force.

Et l’Allemagne ?
L’Allemagne prétendaient conserver toutes ses frontières orientales de 1914, tolérant un État polonais limité à l’ancienne Pologne russe et autrichienne. L’insurrection de Poznan en décembre 1919, dans la foulée de la création de conseils d’ouvriers et de soldats dans toute le pays, puis les trois insurrections silésiennes successives (de 1919 à 1921) allaient forcer les Allemands, mais aussi les puissances occidentales à consentir à des concessions en faveur de la Pologne. Concessions entérinées en partie lors de la signature du traité de Versailles en juin 1919.

Un enfantement dans la douleur

Démantelée à la fin du XVIIIe siècle au profit de l’Autriche, de la Prusse et de la Russie, la Pologne recouvre son indépendance à la faveur de la Première Guerre mondiale. Celle-ci voit les puissances belligérantes multiplier les promesses d’autonomie, avec parfois des débuts de concrétisation. Leur objectif ? Les Polonais s’étant mis au service tant de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie, de la Russie que de la France dès 1917, il s’agit de « s’attirer les sympathies de ce pays », selon l’historien Norman Davies.
Suite au retrait des Allemands de Varsovie le 11 novembre 1918, la Pologne recouvre son indépendance, sous la férule de Josef Pilsudski. Cet ex-socialiste aux penchants désormais conservateurs, est nommé chef d’État le 14 novembre. « La Pologne n’existe alors que sur le papier. Elle n’avait ni frontières fixes, ni monnaie unique, ni lois communes », devait rappeler Henry Bogdan, un spécialiste de l’Europe centrale.
Des élections parlementaires à la Diète constituante ont lieu en janvier 1919 et une « petite Constitution » est adoptée dès le mois suivant. En juin 1919, le traité de Versailles assure à l’État renaissant un corridor sur la Baltique, à défaut d’une mainmise sur Dantzig (Gdansk) devenue « ville libre ».
La Pologne se lance dans le même temps dans des guerres de conquêtes territoriales qui l’opposent à ses voisins (Allemagne, Russie bolchévique, Ukraine, Lituanie). La renaissance se fait dans la douleur. En mars 1921, le traité de Riga qui met un terme à la guerre polono-russe achève, selon Norman Davies, « ses luttes territoriales de façon assez satisfaisante » pour la Pologne. Ses frontières ne bougeront plus jusqu’en 1939 et l’invasion allemande.
JK

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