migrations

Regard sur un siècle de présence polonaise

par Jacques Kmieciak
Publié le 21 janvier 2019 à 17:53 Mise à jour le 25 janvier 2019

La section de polonais de l’Université Lille-III dévoile une partie de ses « trésors » à la bibliothèque universitaire.Exposition « Polonica » à découvrir jusqu’au 30 janvier.

Fondée en 1927, la chaire de polonais des sciences humaines et sociales de la faculté de Lille s’est dotée, au fil des années, d’un important fonds bibliographique et d’archives. L’enseignante Maryla Laurent et son équipe ont décidé de le mettre en valeur dans une exposition inédite. Une façon aussi de lancer les cérémonies liées au centième anniversaire de la convention franco-polonaise de septembre 1919. Signée à Varsovie, celle-ci fixe les conditions d’une arrivée massive de Polonais en France... "Trois cent mille travailleurs s’y installèrent de 1919 à 1926, principalement dans le Nord-Pas-de-Calais," rappelle Maryla Laurent.

Polonica, une exposition à découvrir jusqu’à 30 janvier à Lille III

Dans l’entre-deux-guerres, l’enseignement du polonais à la faculté de Lille répond alors en partie à la nécessité de former les personnes (ingénieurs, médecins,prêtres, etc.) amenées à encadrer cette masse d’immigrés. De jeunes soldats venus du monde entier combattre aux côtés des Alliés au sein de l’armée Haller dès 1917, démobilisés et appelés à retourner en Pologne, y fréquenteront aussi les cours. D’éminents pédagogues tels Maxime Herman, Waclaw Godlewski, Edmond Marek, Edmond Gogolewski ou encore Daniel Beauvois à qui cette initiative est dédiée, assureront, au fil des décennies, la renommée de ce département...

Des dons en cascade

Certains d’entre eux à l’instar de Waclaw Godlewski (1906 – 1996) feront don à l’université de leurs archives. Celles-ci livrent un témoignage unique «  sur la trajectoire de cet homme hors cadre et sur l’activité du lycée de Villers-de-Lans, l’unique lycée polonais en Europe sous occupation fasciste », commente Daniel Beauvois. Les archives personnelles de figures de la Polonia régionale tels François Kedzia ou Edouard Kozik y ont aussi été déposées. De même que, récemment, celles de l’historienne Janine Ponty, « la » spécialiste de l’immigration polonaise, disparue en 2017. Aujourd’hui, les dons proviennent surtout de descendants des primo-arrivants. Des Polonais de la quatrième ou cinquième génération qui « ne lisent plus le polonais dans le texte », souligne Maryla Laurent. « Leurs aïeux avaient choisi la France car elle était susceptible d’offrir une instruction à leurs enfants. Certains sont arrivés avec un ouvrage dans leurs bagages. La Trilogie de Henryk Sienkiewicz figurait parmi les romans les plus appréciés. Le niveau culturel de cette population ouvrière était considérable. Il suffit de mesurer le nombre de sociétés de théâtre qui virent le jour à cette époque. Cependant cet héritage familial est devenu illisible. Il est néanmoins respecté, on préfère transmettre ces documents que les jeter  », se félicite Maryla Laurent. Des journaux rares, passeports, affiches,peintures, médailles, manuels d’apprentissage du polonais, tracts, étendards, une kyrielle de photos en noir et blanc et même des films 8 mm traitant de la florissante vie associative des Polonais du Nord complètent une collection d’une richesse inouïe.Une partie de ce trésor est dévoilée lors de l’exposition.

Quid de la préservation des archives ?

Maryla Laurent rappelle l’apport de cette « immigration ouvrière, composante de la mixité culturelle et facteur de dialogue européen, qui a transformé la région du Nord ». A méditer à l’heure du retour en force des postures xénophobes... Le fastidieux travail d’inventoriage, engagé il y a une dizaine d’années, a par ailleurs permis de recenser pas moins de vingt et un mille sept cents ouvrages consacrés à la littérature et l’histoire polonaises. «  Désormais, ces monographies sont toutes accessibles via le catalogue de la bibliothèque universitaire. Les périodiques le seront bientôt », précise la sémillante Monika Salmon-Siama. Et cette chargée de cours de rappeler que « des documents rares(livres, archives) en voie de numérisation,seront prochainement disponibles sur le net ».Une visibilité de nature « à encourager des travaux universitaires autour de thématiques liées à la Pologne ou la Polonia  », imagine Monika Salmon-Siama qui vient d’obtenir son habilitation à diriger des recherches. Un éclat nouveau susceptible aussi de conforter la vocation des « Etudes polonaises » de Lille-III à devenir un centre de dépôt et de valorisation des archives liées à la Polonia de France ? De précieux témoignages d’un siècle de présence polonaise aujourd’hui disséminés dans l’Hexagone et menacés, à terme, de disparition...

• Exposition Polonica, collections polonaises de l’Université de Lille, reflet de la présence polonaise dans les Hauts-de-France (1919-2019), du 17 au 30 janvier à la bibliothèque universitaire Sciences humaines et sociales de l’Université de Lille-III, rue du Barreau, à Villeneuve-d’Ascq. Contact : maryla.laurent chez univ-lille.fr