Un guérillero soviétique au cœur du « Pays noir »

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 25 septembre 2020 à 12:50 Mise à jour le 18 septembre 2020

En Ukraine, son village natal porte son nom. Un musée lui est même dédié depuis 1972. Officier de l’Armée rouge, Vasil Porik a combattu, les armes à la main, les nazis et leurs alliés pétainistes dans le Nord de la France. Cette figure emblématique de la résistance soviétique sera mise à l’honneur ce vendredi 18 septembre à Grenay où il a vécu.

Né en 1920 à Solomirka, à 250 km au sud-ouest de Kiev en Ukraine, Vasil Porik est issu d’une famille de paysans. Après des études dans un collège agricole, il entame une formation à l’école d’infanterie de Kharkov. Il en sort en 1941 avec le grade de lieutenant. Il adhère alors au Parti communiste. À l’été 1941, il combat l’envahisseur allemand au sein de l’Armée rouge. Blessé lors de la célèbre bataille d’Ouman, il sera, dans des circonstances qui restent à déterminer, arrêté puis envoyé dans le Pas-de-Calais, au camp de Beaumont-en-Artois où séjournent des requis ukrainiens (Ostarbeiter, travailleurs de l’Est), et vraisemblablement « des prisonniers de guerre soviétiques », selon l’historien Sergueï Dybov de l’association Mémoire russe. Ce camp alimente en mineurs de charbon les fosses des compagnies de Drocourt et de Dourges. En charge de l’encadrement de cette main-d’œuvre, Vasil Porik met à profit sa fonction pour y développer, en lien avec les Francs- tireurs et partisans (FTP), des actions (vols de dynamite, sabotages) contre les Houillères au service de la machine de guerre allemande. Suite à son évasion en 1943, il est hébergé par Émilie et Gaston Offre, des résistants communistes d’Hénin-Liétard (aujourd’hui Hénin- Beaumont).

Porik, le bolchévique, défie le IIIe Reich

Porik, le bolchévique, défie le IIIe Reich dans son antre de la « zone interdite ». Il assume le commandement d’un bataillon de parti- sans soviétiques baptisé Staline, qui aurait tué « près de 400 soldats allemands, détruit 19 trains de marchandises militaires, 11 locomotives, 10 camions avec munitions, et fait exploser deux ponts importants », selon un rapport du Comité central des prisonniers soviétiques en France, dont il est membre. On lui doit aussi la mise hors d’état de nuire de collaborateurs notoires ou des attaques de dépôts de munitions et de vivres. Le 24 avril 1944, les résistants soviétiques lancent une offensive sur le camp de Beaumont. En charge de sa surveillance, une dizaine de « gardes wallons », ces rexistes belges, auraient été exécutés. Une trentaine de civils ukrainiens sont libérés... La chasse à l’homme s’organise alors. Le lendemain, des partisans soviétiques sont repérés par l’occupant dans le quartier de la Parisienne à Drocourt. Des dizaines de soldats allemands cernent la cité. Le combat s’engage. Blessé à la jambe, Porik est transféré à la prison Saint-Nicaise à Arras. Il y est torturé. Son calvaire se poursuit jusqu’à son évasion rocambolesque de la citadelle, début mai. Aussi mobilise-t-il toute l’énergie mortifère de l’occupant qui a mis sa tête à prix.

À Grenay, chez les Camus

Fin juin, il trouve refuge à Grenay chez Jeanne et Raymond Camus, qui habitent l’actuelle rue du Périgord. Entre deux « coups » portés à l’ennemi, Vasil se régale des soupes au lard confectionnées par Jeanne qu’il appelle « maman ». Il se lie aussi d’amitié avec Raymond, leur fils de 18 ans, un apprenti-cheminot. Ce dernier lui donne des cours de français et... d’accordéon alors que Vasil lui enseigne des rudiments de russe. La traque prend fin le 22 juillet 1944. Alors qu’il se rend à vélo chez un responsable de la Résistance à Liévin, il tombe dans un guet-apens à Loos-en-Gohelle et est aussitôt fusillé à la citadelle d’Arras. Aurait-il été trahi ? Vasil était âgé de 24 ans.

L’hommage de l’URSS

À la Libération, ses restes sont déposés, à la demande des Offre, au cimetière d’Hénin-Liétard. Vasil, que l’URSS a élevé au rang de « Héros » en 1964, y repose désormais avec son compagnon d’armes Vasil Kolesnik. En février 1968, un monument y sera érigé en leur honneur par les autorités soviétiques. Vasil Porik « était très sympathique. Il aimait blaguer », se souviendra Émilie Offre. « Dans la conversation, il avait une voix douce et un peu chantante. Il plaisantait. Mais en opération avec ses compatriotes, ce n’était plus le même homme. Je l’ai vu, autoritaire, parlant d’une voix brève, sèche. Ses ordres étaient clairs, précis et chacun savait exactement le rôle qui lui était dévolu. Il était complètement transformé », témoignera Victor Tourtois, l’un des dirigeants FTP du secteur.

À Grenay, ce vendredi 18 septembre Inauguration du jardin Vasil-Porik

À l’initiative de la municipalité, le jardin Vasil-Porik sera inauguré, ce vendredi 18 septembre à partir de 16 h, boulevard Saint-Louis à Grenay. Il relie les écoles Prévert et Buisson- Lacore. L’association Art et jardins Hauts-de- France a confié son aménagement à L’Atelier de l’Ours. Ce collectif de paysagistes et de designers « a travaillé avec la population et les écoliers. Les enfants y ont imaginé des épouvantails, des hôtels à insectes. Crise sanitaire et fortes chaleurs estivales obligent, les plantations de légumes ont pris du retard. Quant aux arbres, ils seront plantés à la Sainte-Catherine », commente Nathalie André, directrice du Pôle scolaire. À l’occasion de cette cérémonie, deux plaques biographiques seront dévoilées en hommage à Julien Fasquel, un résistant FTP mort en déportation, et à Vasil Porik, le partisan soviétique. Rendre hommage à des résistants ? Rien de plus naturel pour Christian Champiré, le maire PCF de Grenay. Ici, il s’agit d’une tradition. En travaillant avec Grégory Picart pour la réédition, en 2019, de son ouvrage (Les citoyens de la Liberté) consacré aux combattants de l’ombre, « nous nous sommes aperçus que Vasil Porik avait été hébergé par les Camus à la cité 5. Si on prétend faire un travail de mémoire, autant le faire avec les écoles... Maintenant, c’est aux enseignants, aux parents et à la municipalité de rappeler le parcours de Vasil Porik et aussi de Julien Fasquel, lors des cérémonies liées à la Résistance », indique Christian Champiré, toujours aussi attaché à mettre en lumière la tradition internationaliste du mouvement ouvrier.