Un Empire de velours de David Todd

L’impérialisme informel français au XIXe siècle

par ALPHONSE CUGIER
Publié le 6 février 2023 à 11:19

Une exploration des stratégies de domination non coloniale en apparence bienveillantes.

La France ne s’est pas repliée sur elle-même après la défaite de Waterloo en 1815 et la perte de ses colonies (Canada, Saint-Domingue). Vaincue, saignée démographiquement, elle ne peut ouvertement rivaliser avec l’hégémonie maritime britannique. Elle choisit de déployer une stratégie qui ne comporte pas de conquête armée de territoires. Les études des historiens sont restées trop longtemps cantonnées à la politique coloniale de la IIIe République, en liaison avec une idéologie républicaine qui, au nom d’une idée bien ancrée de « races supérieures », a bel et bien remis en cause les principes universels des droits de l’homme, qualifiant les populations d’Afrique et d’Extrême-Orient de « races inférieures ». L’affirmation répétée de libération et d’émancipation des peuples n’étant qu’un judicieux mais bien cynique porte-étendard d’un réel assujettissement.

Sous l’eau qui dort, un « soft power »

David Todd montre que cette histoire, qu’on ne peut réduire au dévoiement des valeurs républicaines, comporte l’édification d’un empire invisible fondé sur divers moyens d’influence et de pression dans les domaines économique (droits de douane, avantages concédés aux acteurs économiques français), financier (extension des prêts à l’étranger), juridique (statuts avantageux) et culturel (exporter « l’art de vivre à la française »). Prise en charge et gestion, complicité avec les élites locales, protection non dénuée de surveillance et de menace voilée (éventuel recours à la diplomatie de la canonnière). Toutes ces formes de dominance moins visibles mais performantes aboutissent à une véritable mise en dépendance. Une « tutelle silencieuse » qui assure le rayonnement de la France qui s’ouvre de nouveaux marchés. La conquête par l’argent du Moyen-Orient est une réussite (contrôle de la dette par des organismes français), tandis qu’au Mexique (reprise de la dette publique mexicaine conjointement à l’intervention militaire) affiche ses limites en raison de la défaite de l’empereur Maximilien soutenu par la France. Cette colonisation informelle aboutit à un échec en Algérie, malgré la collaboration avec Abdelkader et la tentative de relance avec la politique du « Royaume arabe ». Par contre, l’industrie et le commerce de luxe ont séduit une clientèle aisée, cette « marchandisation du goût » concerne le champagne, les tissus et vêtements mais aussi l’afflux des touristes en France et l’exportation de la culture (succès mondial par exemple du mélodrame La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils). David Todd, pour expliquer en conclusion la chute de l’Empire de velours, fait référence, petite merveille, au roman d’Émile Zola La Débâcle. Ce processus apparemment doux de mondialisation ressemble « étrangement » au néocolonialisme de ces dernières décennies, en particulier en ce qui concerne les relations ambiguës et opaques de la Françafrique, « cet empire qui ne veut pas mourir ». Éditions de La Découverte, collection « Histoire du monde », 320 pages, 24 € (17,99 € en numérique).