Monique Heddebaut est disposée à animer des causeries sur le sujet
.© Monique Heddebaut
Les Juifs du Nord-Pas-de-Calais de 1939 à 1945

Une « Histoire française »

par JACQUES KMIECIAK
Publié le 9 septembre 2022 à 15:34

L’historienne Monique Heddebaut est à l’initiative d’un ouvrage qui traite du sort des Juifs dans le Nord et le Pas-de-Calais durant la Seconde Guerre mondiale [1] . Un livre de synthèse à mettre entre toutes les mains en ce 80e anniversaire de la grande rafle de septembre 1942, qui décima la communauté israélite de la région.

Comment l’idée de cet ouvrage vous est-elle venue ?

Je travaille depuis des années sur les persécutions raciales dont ont été victimes les Juifs et les Tsiganes. Sur les Juifs du Nord et du Pas-de-Calais, il existait bien des articles dans des revues comme Tsafon, des communications dans les colloques, mais pas d’ouvrage de synthèse. J’ai évoqué ce projet à Danielle Delmaire qui a dirigé mon mémoire de maîtrise. Finalement, outre cette dernière, deux autres chercheurs se sont associés à ma démarche. Il s’agit de Rudy Rigaut qui a consacré sa thèse aux Juifs du littoral et de Jean-Baptiste Gardon, spécialiste du pillage et des spoliations dont ils ont fait l’objet. L’idée a pris corps en 2019.

Quelle était votre ambition ?

Il s’agissait de dresser une synthèse « tout public » sans démagogie en brassant l’histoire des communautés juives du Nord et du Pas-de-Calais de 1939 à 1945 tout en s’appuyant non seulement sur les archives écrites, mais aussi sur les témoignages des victimes ou de leurs proches. Histoire de rendre hommage aux personnes concernées. Leurs retours sur l’ouvrage sont d’ailleurs élogieux.

Y explorez-vous des champs jusqu’alors délaissés par l’historiographie ?

Effectivement, il y a des nouveautés. Rudy Rigaut évoque le sort des Juifs de la Côte d’Opale. Pour ma part, j’ai travaillé sur les Régiments de marche de volontaires étrangers (RMVE) constitués dès 1939 et sur les Juifs qui, pressentant le danger, quittent la Sarre après le référendum de 1935. La répression qui affecte les Juifs turcs, hongrois ou italiens en 1943 ou encore le dossier des otages-convoyeurs accompagnant les trains de permissionnaires allemands pour éviter qu’ils ne fassent l’objet d’attentats, ont également retenu toute mon attention… Autant d’apports inédits. J’ai aussi établi une chronologie et une typologie des rafles pour montrer la progression de la répression jusqu’en 1944. J’ai voulu montrer la cohérence du projet du bourreau et les moyens qu’il s’est donné pour le concrétiser.

Comment se présente la communauté juive en 1939 ?

En 1939, 4 000 Juifs environ vivent dans la région. Des Français, mais aussi beaucoup de Polonais dans le Bassin minier. À Lille, il y a un mixte entre les familles françaises présentes depuis la perte par la France de l’Alsace-Moselle et des immigrés d’Europe centrale arrivés dans l’entre-deux-guerres. Ces communautés cohabitent mal : les vieilles familles fréquentent la grande synagogue de la rue Angellier alors que les autres se contentent d’un petit oratoire. Parlant yiddish, très attachés à des rites qui paraissent surannés, ces Ostjuden sont considérés comme « mal dégrossis » par les Français israélites.

À Valenciennes en 1935, la communauté juive fête le départ d’Abraham Finkenberg en Palestine.
© Collection Enten

Une fois l’armistice signé, la région occupée et rattachée au commandement allemand de Bruxelles, la répression s’abat rapidement ?

Les expulsions des Juifs de la zone littorale déclarée stratégique, les arrestations et les rafles ont démarré précocement et se sont succédé jusqu’à l’été 1944, dès lors que les Juifs étaient identifiés par la loi du 3 octobre 1940 imaginée par Vichy « portant statut des Juifs  » et les ordonnances allemandes.

La rafle du 11 septembre 1942 décimera une grande partie de la communauté. Vous accordez une importance particulière au sauvetage des Juifs en partance pour Auschwitz par des cheminots à la gare de Lille-Fives en 1942.

Oui, on a trop souvent présenté ce sauvetage comme le fait de cheminots émus par leur détresse. Mais l’émotion n’explique pas tout. Il fallait non seulement de l’organisation, mais surtout une très grande expérience pour sauver ces Juifs au nez et à la barbe des Allemands… Dès 1942, j’ai voulu montrer l’implication des mouvements de résistance dans le secours porté aux Juifs. Ceux-ci étaient cachés, aidés, pas parce qu’ils étaient juifs, mais parce qu’il s’agissait avant tout d’illégaux pourchassés par les autorités. On ne leur demandait pas s’ils étaient juifs, catholiques ou protestants. Il s’agissait d’ennemis du Reich, donc il fallait leur venir en aide. Mon souci était de ne pas isoler les Juifs dans la société française, mais de les appréhender dans une approche globale, d’écrire une Histoire française.

Cette étude pourrait faire l’objet d’un prolongement ?

J’aimerais en effet étudier la place des Juifs au sein des FTP-MOI, il y en avait. J’apprécierais travailler sur les couples mixtes. Quel fut l’itinéraire de ceux et celles qui quittèrent la région en mai 1940 ? Lorsque le mari était catholique et la femme juive, aryanisait-on l’entreprise ? Comment les communautés juives se sont-elles reconstituées à la Libération ? De quelles façons ont-ils ou non récupéré leurs biens à une époque où l’antisémitisme est loin d’avoir disparu ? Comment réagirent-ils à l’heure de la création de l’État d’Israël ?

  • Cérémonies commémoratives Dans le cadre du 80e anniversaire de la rafle de septembre 1942, des cérémonies commémoratives se dérouleront ce dimanche 11 septembre à partir de 11h à Lille (à la gare Saint-Sauveur, boulevard Jean-Baptiste-Lebas) et à Lens (monument aux morts, rond-point Van-Pelt).

Notes :

[1Rédigé par Danielle Delmaire, Jean-Baptiste Gardon, Monique Heddebaut et Rudy Rigaut, Être Juif dans le Nord et le Pas-de-Calais 1939 – 1945 est paru aux Editions Tirésias-Michel Reynaud. Prix : 30 euros. Monique Heddebaut est disposée à animer des causeries sur le sujet. Contact : 06 17 94 30 10.