2023 : La Grande Panne

par JEROME LEROY
Publié le 13 octobre 2021 à 17:24

En fait, maintenant, on va beaucoup mieux et la planète aussi. On avait déjà eu des alertes, comme cette panne de Facebook en octobre 2021. Elle avait duré quelques heures et ça avait été toute une histoire. Alors quand Facebook s’est vraiment arrêté, deux ans après, et avec lui tous les réseaux sociaux et une bonne partie du trafic internet, ça a été la panique. La Bourse s’est effondrée, les gens se sont précipités chez les psys pour calmer leurs angoisses, les ados sont restés prostrés dans leur chambre. Mais quand on a vu que ça n’allait pas redémarrer, que c’était vraiment fichu, que c’était un bug irréversible, il a bien fallu s’y faire. La première chose qui s’est passée, c’est que les gens ont recommencé à sortir, à se parler sans écran interposé. Ça a fait tout drôle, on en avait perdu l’habitude. Sans qu’on comprenne bien au juste pourquoi, progressivement on a tous retrouvé le sourire, même les ados. J’ai bien une hypothèse, c’est qu’à la fin, avec les réseaux sociaux, on était bombardé d’informations anxiogènes 24 heures sur 24, dont la moitié étaient fausses. On n’arrivait même plus à hiérarchiser ce qui était important et ce qui ne l’était pas. Attendez, vous n’allez pas me croire, mais sur la fin, les réseaux sociaux parlaient sans arrêt d’un mec qui voulait forcer les Français à choisir certains prénoms alors que la planète avait de plus en plus de mal à respirer et qu’on voulait faire bosser les gens jusqu’à 67 ans… Si, si, je vous assure ! Alors forcément, les gens, ils étaient malheureux sans s’en rendre compte, toujours énervés ou déprimés. En plus, il y avait ce truc qui s’appelait Twitter et qui était utilisé par tous les hommes politiques. Comme les tweets, ça ne pouvait pas dépasser un certain nombre de lettres, ils étaient obligés de faire court. Et quand tu fais court, tu simplifies forcément. Et quand tu simplifies, tu finis toujours par raconter des conneries. Tout le monde s’insultait sur Twitter, on appelait ça des « clashs » : ça ne faisait pas franchement avancer les choses. Alors, après la Grande Panne, les gens ont repris l’habitude d’acheter des journaux en papier parce qu’en plus, la télévision a elle aussi montré des signes de faiblesse avant de cesser complètement d’émettre. Du coup, les bistrots qui étaient en voie de disparition, ils ont rouvert. Les gens ont commencé à discuter à la sortie du travail. Ils discutaient jusqu’à pas d’heure. Parfois, ils arrivaient à se convaincre. Ils n’étaient plus parasités par des éditorialistes qui se croyaient autorisés à dire n’importe quoi. Souvent tout et son contraire parce qu’ils étaient assis derrière un écran et qu’ils blablataient pendant des heures. On s’est aperçu à quel point ils étaient bêtes et fatigants, surtout fatigants, ces faux spécialistes qui causaient, causaient, causaient sans arrêt pour dire tous la même chose : il fallait accepter le monde comme il était. Bref, une fois que les réseaux et la télé se sont tus pour toujours, l’humanité a pu réfléchir et a fini par choisir la seule solution rationnelle pour être heureux tous ensemble. Oui, c’est ça : le communisme, vous avez tout compris…