Abstention, piège à cons

par JEROME LEROY
Publié le 24 juin 2021 à 22:21

Un bref instant, en regardant les résultats des Régionales, j’ai cru qu’on était revenu dans le monde d’avant. Le monde d’avant Macron je veux dire, et j’étais bien content. Un monde où il y avait une droite, où il y avait une gauche, un monde où parfois la droite gagnait et où parfois c’était la gauche. Moins souvent, hélas, en ce qui concerne la gauche parce qu’il est plus compliqué d’être de gauche que de droite, de jouer sur la raison que sur la pulsion. Mais ça n’a duré qu’un bref instant parce qu’il y avait, dans le monde d’avant, des électeurs. Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Mais si voyons, l’électeur, c’était un homme ou une femme qui avait lu les professions de foi des différents candidats, avait écouté des débats et pas seulement des braillards d’extrême droite sur CNews, qui se faisait sa petite idée et qui allait voter en revenant du marché ou après le café du repas dominical. Si l’électeur était militant, ou même simplement doté d’un minimum de civisme, il arrivait même qu’il tienne le bureau de vote ou qu’il participe le soir au dépouillement. Mais là, en fait, des électeurs, il n’y en a pas eu beaucoup. Mais vraiment pas beaucoup. C’est ennuyeux dans une démocratie. Une démocratie sans électeurs, ça tient du fameux couteau de Lichtenberg : un couteau sans lame et dépourvu de manche. Un électeur qui ne se dérange pas pour voter est appelé abstentionniste. L’abstention, pour un électeur, c’est une espèce d’abstinence, comme on peut être abstinent en amour, c’est-à-dire refuser un rapport sexuel. Ce sont des mots de la même famille. Étymologiquement, l’abstentionniste refuse de faire l’amour à la démocratie. Est-ce parce qu’il la trouve moche ? C’est vrai, elle n’est pas bien jolie. Mais à moins de jeter des bombes, c’est le seul moyen qu’on aura de virer Le Pen et Macron. Je trouve que tout le monde a été bien indulgent avec les abstentionnistes. Il faudrait les comprendre, ils ont eu envie de profiter de la liberté retrouvée : rappelons que voter, ça prend dix minutes à tout casser. Ou alors, surtout les jeunes, ils ne se sentent pas concernés. C’est dommage parce que Macron les prend pour des cons. Il les amuse avec Mcfly et Carlito en leur préparant un bel avenir de livreurs à domicile qui travailleront jusqu’à soixante-dix piges sans couverture sociale. Ou encore l’offre politique semble insuffisante ? Ah bon ? Il lui faut quoi, à l’électeur des Hauts-de-France, en dehors de la droite, la gauche, l’extrême droite lepéniste et l’extrême centre macroniste ? Des binômes départementaux défendant la cuisson de la frite au gras de bœuf ? Ça n’engage que moi mais je n’ai pas envie de trouver d’excuses aux abstentionnistes. Ça me donne des envies de vote obligatoire. En attendant, félicitations aux 252 650 électeurs de la liste de Karima Delli d’avoir rappelé aux médias que la gauche existe encore et aussi à tous ceux qui nous ont donné le bonheur de voir cinq ministres macronistes au tapis dès le premier tour. Au bowling, on appellerait ça un strike.