Applaudir

par JEROME LEROY
Publié le 26 mars 2020 à 21:32

Applaudir le personnel soignant tous les soirs. Sur un balcon. Je vais peut-être choquer mais voilà le comble de l’hypocrisie pleurnicharde et moralisatrice, celle qui a permis de remplacer la politique par des bons sentiments.

Ce qui était spontané chez les Italiens devient ici une opération de communication à usage gouvernemental encouragée par les incompétents qui sont au pouvoir, naviguent à vue et qui savaient seulement, jusqu’au début du Coronavirus, dépouiller l’État pour donner à quelques-uns, à quelques grands groupes privés, ce qui appartenait à tous les citoyens, et notamment les transports, la santé et la protection sociale.

Parmi ceux qui applaudissent, il y a sans doute des gens sincères mais je ne peux pas m’empêcher de me demander combien ces vingt dernières années, ont bougé leurs miches pour aller voter ? Et parmi ceux qui se sont dérangés, combien ont voté pour des partis qui dénonçaient la marchandisation totale de la société y compris de la santé ? Il y en a eu, pourtant, des occasions démocratiques de renverser la vapeur, d’empêcher la catastrophe sanitaire qui se déroule sous nos yeux.

Je reprends les chiffres du camarade sénateur Éric Bocquet, donnés récemment dans un tweet : en vingt ans, la population française a augmenté de 7 millions d’habitants et les politiques austéritaires ont supprimé 100 000 lits dans le secteur hospitalier. « Et voilà pourquoi votre fille est muette » et pourquoi le « meilleur système de santé du monde » est submergé malgré l’héroïsme des soignants célébré par Macron. Il faudrait juste lui rappeler, à Macron, que ses soignants n’ont pas à être « héroïques », n’ont pas à se sacrifier. Ils ont juste besoin d’être équipés décemment pour faire le meilleur boulot possible avec dévouement et compétence. Avec des masques, par exemple, qui manquent à la population et aussi à eux, ainsi que des kits de dépistage qui devraient être systématiquement utilisés pour tous et qui devront l’être de toute manière quand on sortira du confinement.

Autre chose, ce que nous vivons n’est pas non plus une « guerre » contrairement à ce que dit le Figurant de l’Élysée : c’est une pandémie. Tout simplement. Les métaphores ont ceci de confortable qu’elles vous donnent un petit air de poésie à la réalité la plus crue, la plus sordide. À défaut d’être évitable, cette pandémie était gérable avec une autre politique qui aurait empêché tous ces morts s’entassant dans le couloir d’urgences saturées, urgences dont on rappellera qu’elles étaient en grève depuis des mois et des mois, dans la relative indifférence de la grande majorité des applaudisseurs.

Et tiens, combien parmi ceux qui font clap-clap avec les mains sont descendus dans la rue depuis ces vingt dernières années, combien se sont mis en grève pour essayer de ralentir le rouleau compresseur néolibéral ? Combien, sérieusement ? Alors il faudrait applaudir, vraiment ? Pour qu’on ne se sente pas coupables et qu’on se trouve si beaux dans ce miroir de la communion fraternelle et des belles images pour BFMTV ? Applaudir, et puis retourner dans la cuisine avec 50 kilos de macaronis en poussant un soupir de satisfaction ? Ce ne sont pas les applaudissements qui vont, par miracle, nous rendre un système de santé. Ou alors, si on applaudit, faisons-le avec des banderoles réclamant que les infirmières françaises cessent d’être les plus mal payées d’Europe. Ce n’est pas les applaudissements qui empêcheront les infirmiers en réanimation de gagner moins de 1 500 euros quand ils débutent.

On ferait mieux de se préparer à l’après, de tirer ensemble les leçons de ce qui aura eu lieu. On nous dit que rien ne sera comme avant. Vraiment ? J’attends de voir. J’espère le voir. Et si, en l’honneur de tous ces soignants, à ce moment-là, on se lève et on change les choses en refusant le discours sacrificiel et austéritaire qui cherchera à s’imposer pour éponger les pertes des marchés ; si on retrouve l’esprit des Jours Heureux, alors là, oui, on pourra applaudir.