Camélia et les populistes

par JEROME LEROY
Publié le 5 juin 2020 à 09:24 Mise à jour le 4 juin 2020

De Camélia Jordana, je ne connaissais pas grand-chose sinon le rôle qu’elle avait joué dans un film, Le Brio. Elle y incarnait une étudiante en droit venue des quartiers et confrontée à un prof réac mais qui était séduit par la volonté de fer de la jeune fille au point de devenir son mentor pour un concours d’éloquence. Il s’agissait évidemment d’un film optimiste qui pariait sur l’intelligence du cœur, même chez un type de droite dure. Un peu comme si vous découvriez que Pascal Praud, le journaliste trumpiste de CNews, donnait en secret des cours du soir à des migrants. Cela ferait surement une bonne histoire mais bon, il ne faut pas rêver. La France du corona, pour l’instant, a plutôt exacerbé les travers de la société pré-Covid : les patrons ne pensent qu’à se refaire en empochant des milliards d’aide publique, les inégalités sont devenues encore plus manifestes et le populisme gagne. En fait, la France a tendance à ressembler à un Disneyland pré-fasciste avec ce qui se fait de pire dans le néo-poujadisme contemporain et Macron en Monsieur Loyal de la démagogie caressant dans le sens du poil toutes les grandes gueules prétendument anti-système : en moins de dix jours, il a téléphoné à Zemmour qui s’était fait agresser verbalement pendant le confinement après avoir agressé pendant des années tous ceux qui n’étaient pas blancs en confondant systématiquement la jeunesse des quartiers avec la racaille et le moindre musulman avec un dangereux djihadiste. Mais ça ne suffisait pas, Macron a aussi fait des câlins à Philippe de Villiers, l’homme du Puy du Fou. Le Puy du Fou, ce Jurassic Park de la chouannerie qui sert de propagande son et lumière pour toutes les idées contre-révolutionnaires tout en filant au pas- sage des grosses subventions pour les associations anti-avortement, va pou- voir rouvrir malgré la pandémie qui rôde encore. Mais jamais deux sans trois : Bigard, le comique raffiné, veut que les bistrots rouvrent. Alors, lui aussi, Macron l’appelle. Il est vrai que Macron avait déjà légitimé le Bigard de la virologie, le professeur Raoult qui, à défaut d’avoir trouvé un remède, a su communiquer sur son génie pendant une crise où il a focalisé l’attention en méprisant la terre entière, en publiant un livre à sa gloire et en inventant le populisme sanitaire dans un moment où on n’avait vraiment pas besoin de ça.

Camélia scandalise, Camélia indigne, elle est mise au ban et pour un peu on l’accuserait d’appel au meurtre.

C’est donc dans cette France-là que Camélia Jordana a dit : «  Il y a des milliers de personnes qui ne se sentent pas en sécurité face à un flic, et j’en fais partie. Je ne parle pas des manifestants, je parle des hommes et des femmes qui vont travailler tous les matins en banlieue et qui se font massacrer pour nulle autre raison que leur couleur de peau. » Je n’aurais peut-être pas dit les choses comme ça. Je ne sais pas si ses mots ont dépassé sa pensée, si elle est hyperbolique et si, par hasard, il n’y avait pas une manière moins dure d’attirer l’attention sur une réalité néanmoins incontestable : la guerre à bas bruit qui existe entre une fraction de la police et les jeunes des banlieues ainsi qu’une conception du maintien de l’ordre dans ces quartiers héritée très exactement des techniques coloniales. Alors Camélia scandalise, Camélia indigne, elle est mise au ban et pour un peu on l’accuserait d’appel au meurtre. Castaner s’indigne aussi mais indique qu’il ne donnera pas de suites judiciaires. Monsieur est trop bon. Camélia, qui ne se dégonfle pas, lui propose un débat. Il se défile. Ce que Camélia n’a pas compris, c’est que dans le Disneyland pré-fasciste, on ne critique pas la police, ni le maintien de l’ordre. Si Camélia, comme l’avait fait Zineb El Rhazoui, une ancienne de Charlie devenue l’égérie des islamophobes, avait dit qu’il fallait que la police tire à balles réelles sur les jeunes ou, comme le dit Zemmour, que les bons Français aient des prénoms français et que Pétain, ce n’est pas si mal, les populistes qu’aime tant Macron seraient tout de suite venus à son secours. Au nom de la liberté d’expression, bien sûr.