Éco-anxiété

par JEROME LEROY
Publié le 5 novembre 2021 à 12:55

J’ai un moyen infaillible ou presque de reconnaître un baby boomer communiste d’un baby boomer de droite. Le baby boomer communiste, lui, reconnaît avec tristesse et sans ambages que la génération qui a vingt ans aujourd’hui vit moins bien que la sienne. Bref, qu’il était plus facile d’avoir vingt ans en 1970 qu’en 2020. Le baby boomer de droite, lui, refusant de voir l’échec de la société capitaliste, est dans le déni. Il ose expliquer au jeune qu’il faut une réforme des retraites allant jusqu’à 67 ans, histoire d’être bien certain que le jeune continue à payer pour lui. Et après ? Après, le déluge… ou plutôt, le réchauffement climatique. Car la jeunesse, outre d’avoir à faire face à la précarité et au chômage de masse, est aussi confrontée à un avenir barré par le réchauffement climatique qui pourrait bien lui rendre la vie impossible. D’où la naissance d’une pathologie nouvelle chez les 16-25 ans, identifiée très sérieusement par les médecins, l’éco-anxiété. 60 % d’entre eux, dans les dix pays testés, souffriraient de troubles provoqués par cette idée d’une humanité en sursis. Cette idée d’ailleurs se répand dans la fiction, écrite comme audiovisuelle. On conseillera, visible sur Arte les 4 et 11 novembre, Anna une mini-série italienne intéressante à plus d’un titre. Elle prouve d’abord que l’anticipation filmée n’est pas condamnée à suivre les canons esthétiques et calibrés des productions Netflix ou OCS, qu’il existe une manière européenne de penser les catastrophes par le biais de la SF. Ensuite, Anna étonne par sa beauté et son pessimisme radical. On retrouve aux commandes le réalisateur Niccolò Ammaniti à qui l’on devait déjà Il Miracolo où un Premier ministre italien se retrouvait confronté à un problème bien particulier : une statue de Vierge en plastique pleurant des larmes de sang, sans qu’aucune explication rationnelle ne puisse être donnée au miracle. Par ailleurs, dans Anna, le côté visionnaire de la SF n’a jamais été aussi évident : le tournage a commencé six mois avant le début de l’épidémie de Covid-19 alors que le synopsis est précisément celui d’une pandémie dont le virus tue tous les adultes et n’épargne les enfants que jusqu’à la puberté. Se déroulant dans une Sicile somptueuse et dévastée, elle met en scène Anna, treize ans, réfugiée avec son petit frère dans la maison où est morte sa mère qui ne leur a laissé pour viatique qu’un carnet où elle a noté « les choses importantes à faire ». Dans ce monde livré à l’enfance, la violence est plus présente que jamais, avec des raffinements de cruauté pimentés par un nihilisme imaginatif et baroque qui rend certaines scènes difficilement soutenables. On sait depuis Sa Majesté des mouches de Golding que les enfants livrés à eux-mêmes n’ont rien à envier à la sauvagerie des adultes. Quand en plus, comme c’est le cas dans Anna, est suspendue au-dessus d’eux l’épée de Damoclès d’une puberté mortelle, l’ensemble devient poignant dans son contraste avec les décors de ruines somptueuses et un ciel impitoyablement bleu. L’éco-anxiété, il ne faut pas la combattre par le déni, mais par la beauté. Regarder en face un danger, c’est encore la meilleure façon de le combattre.

Anna sera diffusée les jeudis 4 et 11 novembre à 20 h 55 sur Arte et en replay jusqu’au 10 décembre sur arte.tv.