Et les profs, alors ?

par JEROME LEROY
Publié le 26 mars 2021 à 10:17

Jamais en retard d’une attaque contre ses propres personnels, le ministre Blanquer avait osé parler au mois de juin 2020, lors de la réouverture des écoles, de « profs décrocheurs » qui auraient profité du confinement pour se mettre aux abonnés absents. La baudruche s’est vite dégonflée. Les profs avaient au contraire rivalisé d’ingéniosité pour pouvoir assurer avec les moyens du bord pour pallier l’imprévoyance de l’Éducation nationale en matière d’enseignement à distance. Le ministère était trop occupé, sans doute, à créer des syndicats lycéens bidon. La particularité de Blanquer, c’est de considérer le prof comme un ennemi personnel. On imagine un ministre de l’Intérieur s’amusant à ce petit jeu démagogique avec ses policiers. Ou plutôt ne l’imaginons pas, Castaner a tenté la chose et ça lui a coûté son poste. Peut-être les profs devraient-ils être armés et venir au lycée en voiture à gyrophare, ils auraient une chance d’être écoutés. Aujourd’hui, Blanquer se gargarise d’avoir laissé les écoles ouvertes. Qui connaît des profs ou des chefs d’établissement sait qu’ils sont informés des nouveaux protocoles sanitaires, en général inapplicables, par la presse, le vendredi soir pour le lundi. Ce mépris tranquille se double d’un discours d’une rare hypocrisie. Laisser les écoles ouvertes est un impératif éducatif, là nous sommes tous d’accord, et aussi un impératif social. Mais on ne dit pas que les suppressions de postes prévues et le démantèlement de l’éducation prioritaire sont toujours au programme. Si Blanquer, dans des conditions sanitaires dangereuses, peut laisser les écoles ouvertes, c’est tout simplement grâce au courage quotidien des profs. Rien de ce qui aurait pu être fait, depuis un an, ne l’a été. Les opérations de dépistage salivaire massif sont restées de la com’ et les remontées des chiffres de contamination à l’école sont impossibles à obtenir. Pour une raison simple : l’école coche toutes les cases des clusters potentiels. On y est nombreux dans des pièces trop petites impossibles à aérer, on se brasse dans les couloirs comme dans une rue commerçante un jour de soldes, on y mange dans des cantines où il y a autant de place que dans une brasserie parisienne, à l’époque où elles étaient ouvertes. Dans une troisième vague que le gouvernement, après avoir joué au matamore, tente d’endiguer avec un « confinement dehors », la seule mesure est la généralisation de la « demi-jauge » dans les lycées. Bref, derrière la gloriole de l’école ouverte coûte que coûte, se profile l’idée qu’elle n’est pas là pour transmettre quoi que ce soit mais pour servir de garderie ou offrir le meilleur service à des parents-consommateurs. Dans Loués soient nos seigneurs, Régis Debray remarquait avec justesse que ce n’était pas à l’école de s’adapter à la société, mais le contraire. On pourrait d’ailleurs demander leur avis aux profs. Le problème, c’est que les profs, contrairement aux médecins, aux restaurateurs, aux policiers, aux gérants de stations de ski, on ne les voit jamais sur les plateaux de télé. C’est sans doute qu’ils sont en cours.

Dernier livre paru : Vivonne (éditions de La Table Ronde)