Européennes : et maintenant ?

par LEROY JEROME
Publié le 31 mai 2019 à 11:22

Il ne s’agit pas de railler le malheur des uns, de célébrer le bonheur des autres, de relativiser, de mettre en perspective pour tenter des lectures différentes, les faits sont têtus : Macron a gagné les élections européennes.

Il les a gagnées objectivement. Avec le même nombre de sièges que le Rassemblement national et moins de 300.000 voix d’écart, alors qu’il en a fait un référendum sur sa personne, alors qu’il est de facto le chef du parti au pouvoir, il arrive en deuxième position, mais une deuxième position tellement proche de la première, qu’il peut considérer ça comme une victoire. Il lui suffira de regarder, dans les élections intermédiaires, européennes, régionales ou municipales, le score de ses prédécesseurs au pouvoir qui ont pris à chaque fois, Hollande ayant battu les records en la matière, des gifles monumentales.

Macron les a aussi gagnées en installant durablement, d’abord dans les esprits puis dans les faits dimanche 26 mai, ce qu’on pourrait appeler le syndrome Manchette, du nom de Jean-Patrick Manchette, le grand auteur de roman noir qui dans Nada , décrit la situation de la France pompidolienne comme les « deux mâchoires du même piège à cons » pour toute une partie de la population ne se reconnaissant ni dans le pompidolisme immobilier ni dans un gauchisme qui ne prendra jamais le pouvoir.

Ce clivage, qui était d’abord une construction intellectuelle et médiatique de la part du pouvoir, est devenu une réalité électorale. Il suffit de regarder une carte interactive. Dans chaque commune de France ou presque, c’est soit En Marche , soit le RN en tête. L’électeur, qui en plus s’est mobilisé cette-fois-ci de manière inattendue, l’a fait contre un camp ou contre l’autre. Des votes utiles croisés. On n’a pas voté pour ses idées, et pourtant avec trente-quatre listes, l’offre électorale était là, on a voté contre les « populistes » , les « nationalistes » ou contre les « progressistes » et les « libéraux ».Les scores du RN et de LREM sont des scores en creux et non d’adhésion, ou alors d’adhésion négative.

Ce n’est pas très sain en démocratie. Mais qui vous dit que nous sommes encore en démocratie ? Parce qu’on va déposer un bulletin dans l’urne par trouille ou dégoût de celui qui pourrait être à la place de l’autre ? Maintenant, même chez les militants de la LREM, on se réjouit ouvertement de cette situation : elle promet une implantation aux municipales qui était le gros problème du macronisme. Et chez ceux du RN, on se félicite, on se dit que la prochaine fois sera la bonne alors que le RN et ses dirigeants, comme du temps du FN, savent merveilleusement perdre les échéances décisives depuis le second tour de la présidentielle de 2002 : pour une raison simple, ils ne veulent pas du pouvoir, et c’est tant mieux.

Qui va contrer cela ? La gauche ? La percée écologiste pourrait laisser quelques espoirs. Mais l’écologie de Jadot, qui ne prévoit ni ne souhaite aucune rupture avec l’économie de marché pourtant principale responsable de la situation environnementale, montrera vite ses limites. Quant aux autres forces de gauche, elles sont divisées à un point tel qu’elles ne représentent plus aucun espoir. La France insoumise en tentant de substituer un clivage haut/bas, peuple/élite à la lutte des classes s’est enfermée dans une rhétorique qui ne prend pas en France. On peut toujours s’amuser à faire un total gauche de 30%, ce qui est de toute manière historiquement faible, un rassemblement de petits ne fera jamais qu’un petit rassemblement.

Alors que faire, pour ceux qui ne se résignent pas à une vie politique bloquée qui favorise un peu plus chaque jour le démantèlement de l’État-Providence et l’essor du libre échangisme ? Se résigner ? Sûrement pas. La belle campagne de Ian Brossat a eu au moins le mérite de définir les marqueurs qui doivent rester les nôtres : la question sociale, la question écologique, le souci de l’humain. Et une attention de chaque instant au mouvement social, des Gilets jaunes à la jeunesse mobilisée contre le réchauffement en passant par les luttes syndicales.

Les jours heureux étaient le nom du programme du Conseil national de la Résistance. Aucune raison qu’ils ne reviennent pas.