Le fonctionnaire, suspect habituel

par JEROME LEROY
Publié le 10 décembre 2021 à 11:35

Comme à chaque élection présidentielle, le nombre de fonctionnaires devient un argument de campagne. Le sujet s’est réinstallé pendant la primaire des Républicains. C’est que les Républicains ont besoin d’un bouc émissaire. Le bouc émissaire, c’est un moyen assez apprécié de la droite pour souder un électorat dans le ressentiment contre une catégorie plutôt que dans l’adhésion à un projet collectif. L’immigré ou le migrant, même s’il se noie dans la Manche, leur vient tout naturellement à l’idée. Ils en parlent en mal mais on sent bien que le cœur n’y est pas. Zemmour et Marine Le Pen font beaucoup mieux qu’eux dans l’ignominie. Alors, va pour le fonctionnaire ! C’est Valérie Pécresse qui s’est ainsi lancée la première dans la dénonciation d’une fonction publique pléthorique, onéreuse et inutile. Elle souhaite : « la débureaucratisation du pays et une décentralisation avec un lâcher-prise de l’État pour supprimer les doublons. Mon objectif, c’est de supprimer 150 000 postes dans l’administration administrante. » L’expression d’« administration administrante » renvoie à cette idée des fonctionnaires « ronds-de-cuir », expression popularisée par Courteline. On voit que ça ne date pas d’hier, cette dénonciation du fonctionnaire... Pour un autre candidat républicain, Philippe Juvin, le remède se résume en un mot d’ordre clair : « Sortons nos agents des bureaux ! » Sans doute pense-t-il que la vie de bureau est toxique. Il a dû lire Les Employés de Balzac mais le problème est que le roman a été écrit en 1835. Disons-le clairement contre cette démagogie de bas étage : ce ne sont pas les fonctionnaires qui sont archaïques mais plutôt la droite. Les infirmières ou les enseignants sont aussi des fonctionnaires et ils ne sont pas franchement des ronds-de cuir qui paresseraient dans un bureau. Alors, quoi, le fonctionnaire serait comme le cholestérol ? Il y aurait le bon et le mauvais ? Tout ça n’est pas très cohérent et pue la mauvaise foi surtout quand on réclame plus de policiers qui sont aussi... des fonctionnaires. Emmanuel Macron, lui, pourra faire valoir qu’il a déjà frappé plus haut et plus fort. Ancien énarque, comme d’ailleurs Valérie Pécresse, il a en effet... supprimé l’ENA, autre obsession française, symbole d’une caste supposée inefficace, arrogante et déconnectée. Un grand « reset » bureaucratique en quelque sorte... Dans le dernier chapitre de ses Mémoires de Guerre, De Gaulle écrit pourtant : « La satisfaction m’était donnée, le 15 décembre 1945, d’inaugurer l’École nationale d’Administration, institution capitale qui allait rendre rationnels et homogènes le recrutement et la formation des principaux serviteurs de l’État. » Et comme souvent, au lieu de se demander pourquoi le projet s’est dénaturé, pourquoi les hauts-fonctionnaires ne sont plus recrutés aussi dans les classes populaires et ne sont plus représentatifs de la société, Macron préfère casser le thermomètre plutôt que de soigner la fièvre. Celle d’un pays où, par exemple, les infirmières et les professeurs démissionnent de plus en plus, épuisés à la fois par le mépris et le manque de moyens.