Nostalgie, utopie...

par JEROME LEROY
Publié le 28 mai 2021 à 11:28

Nés en 68 est un film que j’ai vu à sa sortie en 2008 pour le 40 [1] anniversaire de Mai 68, en plein triomphe de Sarko qui avait fait sa campagne en accusant cet événement d’être à l’origine de tous les maux de la société française. Nés en 68 repasse actuellement sur Arte [2]. Il aurait suffi de peu de choses pour avoir avec ce film un Nous nous sommes tant aimés à la française. Si ce n’est pas le cas, ce n’est ni la faute des acteurs (Laetitia Casta révèle un génie d’actrice jamais vraiment exploité) ni des metteurs en scène (malgré quelques clichés) mais à cause de la radinerie des financiers, une radinerie qui s’oublie tout de même à la longue. Et puis ce film a une immense vertu par les temps qui courent. Le revoir en 2021 nous fait mesurer à quel point la situation politique s’est encore dégradée depuis treize ans. La France n’a jamais été aussi à droite, malheureuse, étriquée, tiraillée entre le monstre froid du macronisme et ses gueules de Ken et Barbie ultralibéraux, et la vieille droite rancie, qui n’a même plus le talent des réacs d’antan mais seulement la trouille hideuse et mortifère des Versaillais, avec Patrick Buisson et Éric Zemmour en intellectuels organiques, c’est dire le niveau... Nés en 68, en nous montrant des jeunes qui font l’amour en communauté en fumant de l’herbe, en se couvrant de fleurs et en écoutant Jefferson Airplane, nous rappelle pourquoi ces têtes de morts de la droite dure haïssent à ce point 68 : ils ont failli tout perdre. Le pouvoir économique, mais aussi le contrôle des corps et le cadenassage des imaginaires représentant l’autre, qu’il soit étranger, jeune, habitant des quartiers, comme un ennemi alors qu’il était en 68, une occasion de découverte, de rencontre et de fraternité. Alors, oui, je sais, les soixante-huitards sont devenus ceci, sont devenus cela. Et souvent des bobos hyperfriqués et vieillissants qui ne veulent pas laisser la place. Parfois, ils ont choisi clairement le camp de la domination comme l’ineffable Cohn-Bendit et son compère Romain Goupil passés en rang serré du côté des matraqueurs de Gilets jaunes. Au point que même des droitards de la pire espèce découvrent soudain des vertus au PCF parce que le PCF n’était pas gauchiste en 68. Mais le PCF, on le prend en bloc ou pas du tout. Et le PCF, cette droite anti-soixante-huitarde ne l’aime plus du tout quand il parle de la lutte des classes et de l’appropriation collective des moyens de production. Il n’empêche, en revoyant Nés en 68, on se sent comme lavés de la boue déversée chaque jour par des chaînes comme CNews. Et on se prend à rêver : si les communautés comme celle que l’on voit dans le film avaient réussi, et qu’elles aient recouvert le monde, on ne serait probablement pas à se demander si la prochaine génération a une chance de survivre sur une planète ruinée par un capitalisme qui joue sa dernière chance en nous enfermant un peu partout en Europe dans un Disneyland préfasciste, dont la gauche a pour l’instant perdu la clef.

Notes :

[1ème

[2A voir en replay arte.tv

Mots clés :

Mai 68 Nés en 68