On est sorti de chez nous

par JEROME LEROY
Publié le 12 juin 2020 à 09:58

On ne peut pas vouloir tout et son contraire. Les libéraux et les réacs trumpo-compatibles piaffaient d’impatience. Il fallait sortir de chez nous !

Il est vrai que le confinement avait assez duré, qu’il fallait que tout reparte. Seulement, il y a eu un malentendu. Ceux, du côté de la droite, du patronat et des marcheurs, qui avaient espéré que cette sortie soit uniquement pour faire tourner l’économie et rétablir les marges des actionnaires en travaillant plus pour gagner moins, en sont pour leurs frais.Du côté de Maubeuge, par exemple, qui n’a pas besoin de ça, les gens sont sortis de chez eux pour dire qu’il était hors de question que Renault ferme alors que l’entreprise venait de toucher plusieurs milliards de l’État sans trop de contrepartie. On a même vu dans la manif ce dangereux bolchévique de Xavier Bertrand, président des Hauts-de- France, défiler avec la CGT.

Après tout, se crever la paillasse au nom de la reconstruction d’un système qui a tout de même sérieusement aggravé la situation par une vision managériale et comptable des questions hospitalières et sanitaires, ça demande réflexion. Les soignants, engagés dans le Ségur de la santé, sont encore tout étonnés de la rapidité avec laquelle les applaudissements se sont tus. Comme dit un pro- verbe normand, « les bouchées avalées n’ont plus de goût » et l’infirmière, pour les éditorialistes, est en passe de ne plus être une héroïne mais une feignasse qui continue à s’accrocher aux 35 heures. Et puis quand on sort de chez soi, on en sort aussi avec ses problèmes.

On est tout de même un peu étonné de voir les médias se concentrer à longueur de reportage sur la réouverture des terrasses des cafés. N’est-ce pas contradictoire, tout de même, de s’extasier sur le petit noir et le demi pris par des promeneurs qui profitent du soleil ? Normalement, ces journalistes qui voulaient les Français au boulot, et plus vite que ça, devraient s’indigner de tous ces gens qui glandent alors qu’ils devraient être en train de marner. À moins qu’ils ne fassent partie des millions de chômeurs complets ou partiels, c’est une possibilité.

Parmi les problèmes, évidemment, il y a ceux des quartiers. Ce n’était pas brillant avant le confinement et ça n’a pas été brillant pendant avec une mortalité nettement supérieure à la moyenne, le plus grand nombre de décrocheurs scolaires et une situation qui a flirté, notamment en Seine-Saint-Denis, avec la famine. Je vois ainsi, toujours à droite et même très à droite, des esprits chagrins qui hurlent à la mort devant les manifestations en faveur d’Adama Traoré. Quoi, ils osent braver l’interdiction des rassemblements de plus de dix personnes, ces voyous, ces sans-papiers, ces mauvais Français islamisés ? Pourtant les mêmes réacs ne cessaient de se féliciter de la résistance punk genre « no future » de Trump et Bolsonaro qui encouragent à prendre les armes contre ces salauds de médecins qui veulent casser l’économie. Mais voilà, maintenant, c’est Trump qui menace d’envoyer la troupe, rien que ça, parce qu’il semblerait que ce soit au tour des Noirs américains d’être de sortie.

En compagnie de pas mal de Blancs et même de pas mal de policiers pour protester contre la mort par asphyxie de George Floyd. Floyd n’était pourtant, d’après l’inénarrable Zemmour, qu’un truand noir en surpoids qui s’est jeté volontairement pendant plus de neuf minutes sous le genou d’un flic connu, d’après ses états de service, pour sa modération humaniste. Dans la mesure où l’on est ressorti, il faudra donc faire comprendre à Agnès Pannier-Runacher, la ministre du Medef, à l’identitaire libertarien, au beauf de base façon Pascal Praud sur CNews, et le faire comprendre de manière assez ferme, que les minorités en colère, les militants antiracistes, les cégétistes, les antifas, les féministes LGBT, les urgentistes en grève, ils ressortent aussi.Et qu’ils ne sont pas contents. Et que ça va se voir.