Pour Bertrand Tavernier

par JEROME LEROY
Publié le 2 avril 2021 à 11:05

Bertrand Tavernier, mort jeudi 25 mars, était un des cinéastes les plus chers à mon cœur. J’ai pu le rencontrer un peu longuement en mai 2010. J’étais à Perpignan pour un festival de polar. Tavernier était venu pour une projection de son adaptation de James Lee Burke, Dans la brume électrique, son seul film américain. Le modérateur prévu avait fait défaut et ma réputation bien exagérée de cinéphile a couru chez les organisateurs. Je me suis donc retrouvé à l’interroger de manière improvisée. J’étais fou de joie et terrifié. J’avais tort tant son affabilité et son érudition tranquille mettaient à l’aise l’interlocuteur. Je me souviens qu’on a surtout parlé de La princesse de Montpensier qui venait de sortir, de son goût pour le film noir, de Simenon dont son premier film est une adaptation (L’horloger de Saint-Paul, 1973). Il y a aussi eu ce moment où je lui ai dit toute ma reconnaissance pour le film Ça commence aujourd’hui qui racontait en 1999 le quotidien d’un directeur d’école primaire dans le Valenciennois, là où la misère sociale n’est pas un vain mot. Certains critiques qui ne dépassent pas le périph’ avaient trouvé un côté Zola trop appuyé à ce film. Il se trouve que j’ai été prof dans la même zone et Ça commence aujourd’hui ne paraît outrancier ou moralisateur qu’aux gens qui n’ont pas été confrontés à cette détresse sociale qui s’attaque même à l’enfance et l’empêche d’être cet âge de l’apprentissage heureux de la beauté du monde. Et pourtant, ce n’était pas un film désespéré, mais humaniste.

Ça commence aujourd’hui ne paraît outrancier ou moralisateur qu’aux gens qui n’ont pas été confrontés à cette détresse sociale qui s’attaque même à l’enfance et l’empêche d’être cet âge de l’apprentissage heureux de la beauté du monde.

Humaniste… Voilà un mot bien démodé, mais qui résume sans doute le cinéma de Tavernier. Être taxé d’humaniste peut vite faire de vous un cinéaste démonstratif et académique. Tavernier a transformé son adaptation de Jim Thompson, 1 275 âmes, en film anticolonialiste dans Coup de torchon, tourné à Saint-Louis du Sénégal. Et alors ? Sa peinture d’un milieu qui baigne dans le racisme est la même que celle de la petite ville américaine de Jim Thompson et le personnage du shérif qui passe pour un débile léger mais procède à un nettoyage par le vide chez les notables, c’est le même que celui du flic débraillé joué par Noiret, un des acteurs fétiches de Tavernier. On retrouve cet humanisme sceptique, désespéré et aimable, toujours incarné par Noiret, dans le personnage du père qui n’a pas assez compris son fils dans L’horloger de Saint-Paul, mais aussi dans le Régent de Que la fête commence ou le commandant lancé dans l’entreprise impossible d’un décompte des morts de 14-18 dans La vie et rien d’autre. Je me souviens que le lendemain de cette rencontre, on apprenait au matin que DSK avait été arrêté à New-York. Cela aurait pu faire un scénario pour Tavernier, Chabrol ou Yves Boisset, ces cinéastes qui sont la preuve oubliée que l’on pouvait très bien faire un cinéma populaire de critique sociale, ce qui a totalement disparu aujourd’hui où les films « politiques » doivent recevoir le tampon d’autorisation donné par le Bureau des Intersectionnalités. La meilleure preuve que cet humanisme n’est plus vendeur, c’est que Tavernier ne parvenait même pas, ces dernières années, à réunir des fonds pour un nouveau film…