Respirer

par JEROME LEROY
Publié le 8 octobre 2021 à 11:40

La semaine dernière, me sont revenus à la mémoire, dans un train, allez savoir pourquoi, ces quelques vers :

Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie.

C’est un très vieux poème, il a plus de cinq cents ans. Je me suis senti incroyablement heureux en m’en souvenant. Sans doute parce que je venais, juste avant, de faire un tour sur les réseaux sociaux et deux ou trois sites d’info. J’ai l’impression que c’était ma mémoire qui avait cherché un antidote puissant à une forme d’angoisse très politique : on est quand même sérieusement envahi par une langue du ressentiment, de l’hystérie, du pathos ; une langue de réseaux sociaux qui contaminent les relations humaines, même virtuelles, mais aussi les infos, les journaux et bientôt la littérature. Alors, l’antidote, cinq vers de Clément Marot, pas plus.

Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie.

Cinq cents ans après, on comprend encore tous les mots. C’est une langue simple, lumineuse. Dans un demi-siècle, si on est encore là, la fausse complexité des discours dominants ressemblera à de l’assyro-chaldéen écrit par un scribe sous acide. Il faudra un dictionnaire pour traduire : « Toutes ces problématiques impactent mon ressenti. » Clément Marot, comme les plus grands, lui, écrit avec quelques centaines de mots. Il n’a pas besoin de plus pour cette combinatoire infinie de la beauté, de la nuance, de l’émotion. Même les enfants peuvent comprendre. On ne va pas se livrer à une explication de texte, mais tout de même. Cette simplicité est une transparence, quelque chose qui a à voir avec la fraîcheur matinale de l’air bleu. Marot dit tout ici de la rencontre amoureuse, de son effet de surprise, du hiatus toujours douloureux entre la beauté d’un lieu et ses propres sentiments, avant que ne survienne la rencontre elle-même qui résout la contradiction et ouvre, à travers la comparaison finale, sur un ailleurs. Tant il est vrai que le coup de foudre nous envoie toujours ailleurs. Allez une dernière fois :

Dedans Paris, Ville jolie,
Un jour passant mélancolie
Je pris alliance nouvelle
A la plus gaie damoiselle
Qui soit d’ici en Italie.

Laissez-vous faire, il fait beau, tout est clair, la ville s’anime au matin, une jeune fille passe et c’est toujours la même jeune fille depuis cinq cents ans. Vous allez déjà mieux, vous respirez mieux, vous oubliez les petites et grandes trahisons, vous oubliez les langues mortes du ressentiment, de la plainte, de la peur, de la fausse efficacité managériale et de la vraie haine politique. Vous oubliez qu’on puisse aujourd’hui en France tenir des discours ouvertement racistes et remplir un Zénith à Lille samedi dernier, bien aidé depuis des mois, voire des années par des médias complaisants. Un poème, c’est ce moment de « l’alliance nouvelle » avec vous-même et avec les autres. C’est éphémère, mais rien ne vous empêche de renouveler l’expérience. C’est une pause, avant de reprendre le combat.