Accueil  >  Idées  >  L’édito

Quand le vocabulaire présidentiel ouvre la voie à l’extrême droite

par Philippe Allienne
Publié le 26 mai 2023 à 10:27

On se souvient de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, puis président de la République, qui voulait une loi répressive pour chaque fait divers médiatisé. Cette posture a montré son inefficacité. Avec Emmanuel Macron, un nouveau pas est franchi. Sa dénonciation de la violence le mène, nous mène, dans les bras de l’extrême droite. Après l’agression, inexcusable, contre le chocolatier amiénois Jean-Baptiste Trogneux, le président y est allé de sa diatribe. On le comprend. Mais il mord largement sur la ligne jaune lorsque, en conseil des ministres, il lâche le mot “décivilisation” à propos de la mort d’une infirmière au CHU de Reims, Carène Mazino, et la mort de trois policiers à Roubaix. Évoquant l’agresseur de l’infirmière et le conducteur qui conduisait en état d’ivresse et sous l’emprise de stupéfiants, il perçoit une “forme de décivilisation” et un processus contre lequel “il faut lutter en profondeur”. Pourquoi avoir recours à un vocabulaire fréquemment utilisé par la droite et l’extrême droite ? Le président LR de l’Association des maires de France, David Lisnard parle de “décivilisation” depuis un an. Le sénateur LR Bruno Retailleau évoque une France qui “est en train de s’ensauvager avec un phénomène de décivilisation”. La journaliste Gabrielle Cluzel, du site d’extrême droite « Boulevard Voltaire » y va aussi de ces mots choisis. Peu importe en réalité de savoir si la “décivilisation” façon Macron emprunte au théoricien du “grand remplacement” Renaud Camus ou au sociologue allemand Norbert Elias. Le premier s’attaque à la “démocratisation” de la culture qui, pour le coup, ne serait plus “héréditaire”. En clair, “l’étranger” est un danger pour notre identité. Éric Zemmour et son obsession de civilisation chrétienne ne dit pas autre chose. Il en va autrement pour Norbert Elias qui, dans La Civilisation des mœurs paru en 1939, s’inquiétait du retour de la violence dans la société allemande des années 30. Il oppose l’évolution de la société et la pacification des mœurs – la civilisation – à l’abandon de la maîtrise de soi et de l’autodiscipline – la décivilisation. Précisément, ces actes que l’on ne peut que condamner, ne peuvent trouver une quelconque solution dans une rhétorique présidentielle qui fait la cour à l’extrême droite. Car si l’on veut croire qu’Emmanuel Macron pensait, dans sa sortie, aux travaux d’Elias, c’est bien aux idées nauséabondes qui se développent auxquelles il nous renvoie. L’agression du local du parti communiste, à Boulogne-sur-mer, dans la nuit du 23 au 24 mai, prouve encore que l’extrême droite est de plus en plus décomplexée. Nous préférerions entendre parler d’un renforcement des services publics (école, hôpital...), d’un accompagnement des collectivités territoriales et des élus locaux, d’une défense réelle de notre démocratie. Ce n’est évidemment pas la voie choisie par l’Élysée et Matignon.