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Grand âge : volonté politique contre salauds

par Philippe Allienne
Publié le 4 février 2022 à 11:30

Ce n’est pas tous les jours qu’un livre provoque un tel scandale. La parution du livre-enquête du journaliste Victor Castanet, Les Fossoyeurs (chez Fayard), a produit l’effet d’une bombe pour les Ehpad privés et notamment pour le groupe Orpéa. Aussitôt, la question est posée : le phénomène de maltraitance des personnes âgées et dépendantes est-il généralisable à tous les établissements, publics, privés, associatifs ? Non, mais il est beaucoup plus répandu qu’on ne le dit. L’enquête de Victor Castanet, nous l’écrivions dans ces colonnes la semaine dernière, n’est pas la première du genre. Sauf qu’ici, le directeur général de ce groupe privé, Yves Le Masne, a été très vite démis de ses fonctions. En raison de la maltraitance infligée aux résidents ? En aucune manière puisque le nouveau patron du groupe, Philippe Charrier, a fermement nié devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale qui l’auditionnait. « Il n’existe en aucun cas de système pour optimiser le profit au détriment des soins dans nos Ehpad. Le vrai système, a-t-il asséné devant les députés, c’est qu’à tous les niveaux, on essaie de prendre soin des personnes qui nous sont confiées. » Il a juré ses grands dieux que ses établissements ne rationnaient pas les résidents et ne leur laissaient pas le choix entre un dessert ou un fromage. Nous en aurions pleuré. Sauf la présidente de la commission qui a préféré mettre un terme à cet échange particulièrement stérile. En fait, si l’ancien patron a été limogé, dimanche 30 janvier, c’est qu’il est soupçonné de délit d’initié. Et pour cause, avant que le scandale n’éclate, il aurait vendu plus de 5 450 actions de son groupe. Cette cession, réalisée il y a quelques mois, lui aurait rapporté plus de 588 000 euros ! L’an dernier, lors des six premiers mois de 2021, le groupe a dégagé un bénéfice net de 102 millions d’euros au lieu de 13 millions au cours du premier semestre de 2020. Le résultat brut d’exploitation, sur l’année 2021, s’est établi à 514,9 millions d’euros, soit une progression de 13,6 % sur un an. Comment, dès lors, peut-on croire l’actuel PDG lorsqu’il tient des propos aussi lénifiants devant les députés ? L’enquête ouverte nous en apprendra davantage, mais le scandale est bien là et le comportement des dirigeants cités s’apparente bien à celui de salauds. Mais cela ne règle rien au fonctionnement général des Ehpad, que ce soit en France ou ailleurs (Orpéa est également mis en cause pour la gestion de ses établissements en Belgique). Qu’il s’agisse des maisons privées, publiques ou associatives, c’est bien des moyens conséquents et une vraie volonté politique qui sont indispensables au grand âge. Entendre la ministre Brigitte Bourguignon affirmer qu’il ne sert à rien de parler de moyens et de recrutements en nombre vu que l’on ne trouve pas de personnel constitue, en soi, un autre scandale. Encore plus important que celui qui bénéficie aux filous. Le candidat communiste à la présidentielle estime qu’il est nécessaire de créer dès maintenant 300 000 emplois en Ehpad et 100 000 d’aides à domicile. Avec un service public du grand âge et une mise sous tutelle des Ehpad privés.