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Les larmes de Natacha

par Philippe Allienne
Publié le 10 décembre 2021 à 11:31

Mercredi soir, 24 novembre au Journal télévisé du service public. Natacha Bouchart, maire de Calais, apparaît bouleversée en commentant le drame qui vient de se dérouler au large des côtes de sa ville. 27 migrants sont morts dans les eaux glacées de la mer du Nord. « Migrants  » avec enfants. Oui, il y avait des enfants. Car on peut être « migrant » dès plus jeune âge. « Migrant » n’est pas un état. C’est une conséquence. Une conséquence de l’exil forcé. Une personne qui doit s’exiler pour cause de guerre, pour cause de conditions de vie impossible, pour cause de rien, c’est une personne qui souffre. Chez un adulte au visage buriné, la souffrance se voit-elle moins que sur celui du visage d’un petit cadavre gonflé d’eau ? Natacha Bouchart peut bien pleurer. Le ministre Darmanin peut bien montrer sa tête d’enterrement. Ce drame horrible, qu’ils ne peuvent de toute façon assumer, est quand même de leur faute. Leurs larmes, leur émotion, ne saurait nous émouvoir. Car être humain, cela ne se commande pas sur les touches d’un smartphone. Être humain, cela vient des profondeurs, pas de la technologie ou de la technocratie. Madame Bouchart, Monsieur Darmanin, vos larmes n’attirent pas les miennes. Elles sont sèches depuis trop longtemps déjà. Il faut dire qu’elles ont eu le temps, pendant que vous concoctiez, chacun de votre côté, vos petits plans libéraux. Ceux qui font que le capital peut circuler librement. Mais pas les hommes, mais pas les femmes, mais pas les enfants. Aujourd’hui, vous et les vôtres allez-vous apitoyer sur des êtres que, jusqu’alors, vous comptiez. Combien de centaines, de milliers, de millions vont envahir notre paisible monde ? Paisible monde. Non, mais vous rigolez, les faiseurs de murs, les poseurs de barbelés ! Les « migrants », ils sont autour de vous. Ils et elles sont toutes celles et tous ceux que vous exploitez, la conscience enfouie dans votre poche. Ils sont le prolétariat que vous haïssez tant, que vous redoutez tant. Non pas que « ceux qui passent », comme l’a si bien écrit une consœur journaliste dans un très beau livre où elle a rencontré des Humains (pas comme vous), sont des « prolos » chez eux. Mais lorsqu’ils touchent nos rivages, ils le deviennent ? Vous ne le saviez pas ? Aujourd’hui, Madame et Monsieur que nous voyons à la télé, vous montrez des visages compatissants mais vous vous tournez tout de suite vers ceux qui sont les premiers coupables à vos regards : les passeurs. Vous les avez fabriqué. Votre pensée, votre mode d’existence, votre égoïsme les ont fabriqués. Et aujourd’hui, vous découvrez une trentaine de cadavres glacés et mouillés. Ils sont bien plus nombreux en Méditerranée. Et tellement gluants de pétrole que les sauveteurs ne savent les remonter. Cela, vous ne voulez pas le savoir. Madame Bouchart, Monsieur Darmanin, ces hommes, ces femmes et ces enfants, vous ne les avez pas tués. Mais ils sont morts au large de nos côtes. S’ils pouvaient encore parler, ils vous demanderaient pourquoi vos hommes armés ont taillé dans leurs pauvres abris de toile, en plein hiver. Ils vous demanderaient pourquoi vous les avez empêchés de se nourrir et de boire en empêchant les associations aidantes de faire leur travail (le vôtre). Ils sont morts, il y aura d’autres morts et vous accuserez encore les passeurs. Mais c’est votre faute.