Les goûts des autres

par Lydie LYMER
Publié le 18 février 2022 à 10:20

Éric Zemmour « pense que l’hôpital est complètement assiégé par une population venue du monde entier, qu’il est obligé de soigner à nos frais ». C’est pourquoi il fait de la suppression de l’Aide médicale d’État (AME) une priorité pour réformer le système de santé.Ses propos ont déclenché de vives réactions en octobre dernier. L’AME permet aux résidents en situation irrégulière de tout de même accéder aux soins vitaux. Ce dispositif représente 0,4 % des dépenses de santé. L’Insee dénombre 300 000 bénéficiaires. En mars 2021, un quart des opérations reportées en raison du Covid n’étaient pas reprogrammées selon UFC-Que choisir. Le délai moyen du report d’une intervention, de trois à sept mois, se répercute sur l’état de santé et l’autonomie. L’hôpital est aujourd’hui plus assiégé par les patients en attente de prise en charge que par « toute l’Afrique ». Le coût de l’AME doit être rapporté aux potentielles économies réalisées. Des maladies traitées à un stade plus avancé engendreraient des dépenses bien plus élevées. Interrogé le 26 janvier sur La Chaîne parlementaire, le candidat déplorait « le recours à des médecins étrangers dans les déserts médicaux », précisant qu’il faisait « la distinction entre les européens et les autres ». Mais qui sont « les autres » ? Les médecins diplômés hors de France représentent 10 % des effectifs. La moitié d’entre eux sont issus d’Afrique subsaharienne ou du Maghreb. Ils investissent des spécialités techniques essentielles comme la chirurgie vasculaire, l’anesthésie, la réanimation et les urgences. Quelle étude démontre qu’ils sont moins performants que leurs confrères diplômés en France ? Face à la pandémie, ils ont été réquisitionnés. Les héros en blouse blanche applaudis hier sont-ils « les autres » aujourd’hui ? Priver sciemment l’hôpital fragilisé des compétences de médecins au prétexte qu’ils sont « les autres » est suicidaire. Et désigner des boucs émissaires n’améliorera pas l’accès aux soins des populations précaires.