La jeunesse algérienne et les fantômes

par Philippe Allienne
Publié le 28 février 2019 à 14:17

Emmanuel Macron est grand. Emmanuel Macron est Jupiter. Comme s’il n’en avait pas assez avec le mouvement des Gilets jaunes et le grand débat national et récupérateur de la colère populaire, le voilà en selle contre les manifestations qui agitent l’Algérie.

Rien que cela. C’est en tout cas ce que l’on peut penser en lisant le très précieux quotidien Le Parisien. Citant l’auteur algérien Mohamed Sifaoui, il écrit sans vergogne : « C’est Emmanuel Macron en personne qui aurait donné, il y a quelques semaines, l’aval de la France à la nouvelle candidature, pour un cinquième mandat, d’un président Abdelaziz Bouteflika à bout de souffle. Il est incontestable que, vu de Paris, la contestation sans cesse montante de la rue d’Alger et de multiples villes du pays contre cette perspective jugée ’’humiliante’’ — être dirigés par un grabataire devenu quasi invisible —, fait très peur. »

Et voilà. La contestation de la rue d’Alger fait peur au pouvoir français. Ce dernier se moque complètement que l’Algérie soit dirigée par un vieillard que l’on n’a plus entendu depuis son accident cardiovasculaire de 2013, détenteur du record de longévité (il a été élu en 1999) et n’étant même plus l’ombre de son propre mythe. Abdelaziz Bouteflika a été un ministre des Affaires étrangères redoutable et redouté dans les années 1960 et 1979 (sous la présidence de Houari Boumédiène et alors que l’on pouvait encore parler de Révolution). Lorsqu’il devient Président, en 1999, il va être l’artisan de la politique de réconciliation, permettant aux islamistes de déposer les armes et de faire oublier les crimes commis lors de la « décennie noire » des années 1990.

45 % de jeunes

Aujourd’hui, rien n’a fondamentalement changé en Algérie depuis le mandat calamiteux de Chadli Bendjedid, très pâle successeur de Boumédiène entre 1979 et janvier 1992, mandat marqué par la montée de l’intégrisme, le code de la famille qui, en 1984, a ramené la femme au rang de mineure, et la révolte du peuple, notamment de la jeunesse, de 1988. Il y a un peu plus de trente ans, la jeunesse en avait assez de n’avoir aucune perspective, de n’avoir pas de travail, de ne pouvoir se loger, de ne pouvoir s’exprimer, de ne pouvoir vivre. Les réactionnaires islamistes étaient en embuscade. On connaît la suite. Le vent de liberté est très vite retombé avec l’assassinat du président Boudiaf, le terrorisme a fait son œuvre, les vieux caciques de l’armée et les affairistes sont revenus en force.

Le peuple est de nouveau dans la rue, bravant l’interdit tout en connaissant les risques (on se souvient du soulèvement des Archs, à partir de la Kabylie, au début des années 2000). La jeunesse, qui représente 45 % de la population algérienne, veut la fin de ce système qui vit sur une manne volée. Elle veut une Algérie libre et démocratique et descend pacifiquement dans la rue. Or, ce n’est plus le risque seul de la répression qu’elle doit craindre. Un ennemi bien pire se dresse : l’ancien colonisateur qui ne craint pas de faire dans l’ingérence. Car pour Paris, un départ de Bouteflika (par le système électoral ou par la mort) semble une perspective effroyable. Pour l’Élysée, cela signifie la déstabilisation d’un pays qui est un grand fournisseur de gaz. Mais on craint également un scénario à l’égyptienne, le retour en force de l’islamisme et du terrorisme et, surtout, une grosse vague migratoire vers les côtes françaises.