Ministère de la peur

par Philippe Allienne
Publié le 31 mai 2019 à 09:37 Mise à jour le 1er juin 2019

Un grand coup de matraque cache toujours une immense faiblesse. Le muscle contre la pensée, le coup de boule contre les idées. Stallone n’est pas Rambo, mais on préfère souvent les aventures fantasmées du soldat-justicier body-buildé à l’histoire véridique d’un petit gars handicapé.

Dans le rôle de Rambo : Macron et son équipe de cow-boys (cela va des communicants aux barbouzes de cinoche). Dans le rôle des méchants que « c’est eux qu’ont commencé les hostilités, colonel j’vous jure »  : les Gilets jaunes dont on veut faire une représentation très imagée d’un peuple sale, veule et éternellement enclin à la jacquerie. Des mauvais. Au centre, les gentilles, diaphanes et très innocentes victimes. Dans le rôle de la pure et blanche oie poursuivie par les vilains pas beaux : Marlène Schiappa, de son état secrétaire (d’État) chargée de l’Égalité Femmes- Hommes.

Marlène est courageuse, Marlène est cultivée, Marlène mène un dur combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes (à ne pas confondre avec la recherche d’une égalité entre les hommes, entre les femmes, entre les hommes et les femmes riches et les hommes et les femmes moins riches).

Scénario : l’agression d’une secrétaire d’État macroniste par des Gilets jaunes éméchés. Le lieu : en province profonde. Décor : la résidence sarthoise de la victime. Action : La scène se déroule de nos jours, ou plutôt dans la nuit du 24 au 25 mai, peu après minuit. Ouh. Au creux de la moiteur des nuits sarthoises dorment paisiblement deux adorables petites filles, une troisième qui est l’amie de l’une des deux premières (il faut suivre svp !). Le papa et la maman profitent d’un repos bien mérité. Suspens.

Et puis soudain, le cataclysme, le branle-bas de combat, la guerre. Dehors, surgie de nulle part, une horde de barbares tout de jaune vêtus, armés de pétards, de cornes de brume et de trompettes s’avance vers le domicile de ces pauvres gens ensommeillés. L’attaque sera atroce. Sans pitié, les soiffards jaunes « se regroupent au pied » de la résidence. « Grosse frayeur pour Marlène Schiappa et sa famille ».Pétards, coups de sifflets, invectives, menaces de mort, « dégradation » des environs et de la porte de la maison, « slogans agressifs, « panique des enfants  ».

Pour la secrétaire d’État, qui ne s’est jamais souciée des violences policières contre les manifestants et de leurs tirs tendus, « on a clairement franchi une ligne rouge ». Dépôt de plainte, longs récits dans les médias et dans des émissions honnêtes ( « Les Grandes gueules » d’Europe 1 par exemple). Les médias en question ne reprennent que la version de la victime présumée. C’est une vidéo et des témoignages qui viendront très largement atténuer l’horreur de cette nuit mémorable.

Que retenir de ce malheureux épisode ? D’abord qu’il n’est pas bien de faire peur aux enfants la nuit. Ensuite qu’il n’est pas correct de coller des affichettes avec de l’eau sur la porte d’un membre du gouvernement en proférant des mots d’oiseau. Et puis enfin, que pour discréditer un mouvement social, rien de tel que de faire passer ses acteurs pour d’odieux croque-mitaines. Marlène Schiappa pourrait rejoindre M. Castaner et quelques autres truqueurs au sein d’un ministère de la peur. Maintenant que le Premier ministre a clairement opté pour des « contacts plus durs » de la part des policiers contre les manifestants, le plus difficile est fait. Reste à enrober le tout d’un beau et terrible récit.