Zépades en peine

par Philippe Allienne
Publié le 21 février 2019 à 15:36

« Apprenez que dans mon pays, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui a brûlé  ». Ainsi s’exprimait, le 1er décembre 1960 devant l’Unesco, l’écrivain et ethnologue malien Amadou Hampâté Bâ. Cette phrase a depuis été reprise, transformée, déformée, considérée comme un proverbe africain : « Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». En utilisant cette métaphore, ce défenseur de la tradition orale (curieux lorsque l’on évoque une bibliothèque), rétorquait en fait à un sénateur américain pour qui les Africains étaient des ingrats, des analphabètes et des ignorants. «  Analphabètes, peut-être, ignorants certainement pas », avait dit Hampâté Bâ en se référant à la tradition et au « vieillard traditionaliste  ».

Les ignorants sont ici, dans les pays riches. Ils sont ceux qui ignorent, ou plutôt qui cachent leurs vieillards, les personnes âgées, les « seniors », comme disent (entre autres) les saigneurs. Les vieux, c’est pas beau, ça pue, ça dépend des jeunes, ça coûte cher. Dans le formidable film de Richard Fleischer, Soylent Green, sorti en 1974, la société de 2022 avait réglé le problème. Et cela se passait merveilleusement bien sur fond symphonique de la Sixième de Ludwig Van Beethoven.

2022, c’est dans trois ans. Et ici, en France, on s’interroge toujours sur la façon dont la société doit s’adapter au vieillissement. Cela a même fait l’objet d’une loi, dite ASV (Adaptation de la société au vieillissement) il y a trois ans. ASV ! Un sigle cache-sexe comme en est coutumier notre monde libéral. Il en est un autre, devenu acronyme : Ehpad pour « Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ». Tout un programme qui regroupe à la fois des établissements médico-sociaux (maisons de retraite ou résidences médicalisées) et des unités de soins de longue durée (entendez bien sûr des USDL).

Quoi de tel qu’un sigle quand on a honte d’une structure ? Ne dites plus « hospice », dites Zépade. Et pensez souvent « mouroir ». C’est ce que l’on est en droit de penser à la lecture de deux livres sortis récemment : le roman Suzanne (chez Equateurs), du journaliste Frédéric Pommier, et le livre Ehpad, une honte française (Plon), qui décrit l’expérience de Anne-Sophie Pelletier au service des personnes âgées.

Qu’il s’agisse du maintien à domicile ou de la vie en Ehpad, les conditions sont déplorables. Le personnel soignant et aidant est épuisé et devient, à son corps défendant, maltraitant. L’auteure, révoltée, a mené une grève de 117 jours à l’établissement « Les Opalines » de Foucherans, dans le Jura, en 2017.

Une autre grève s’est déroulée dans les Ehpad l’an dernier. Pourtant, les « dysfonctionnements » persistent. Les vieux demeurent mal traités. Leur passé est jeté aux orties. Leur court présent est couvert de salissures. D’ici la fin de cette année, une nouvelle loi « Autonomie » est prévue. Mais on sait déjà que, par manque de moyens (donc de volonté politique), elle ne pourra apporter une vraie réponse à la demande, à l’exigence, de dignité de nos aînés.