L’idéologie du général Alacazar

par JEROME LEROY
Publié le 20 décembre 2019 à 11:29 Mise à jour le 21 décembre 2019

Édouard Philippe est quelqu’un de très intelligent. Jusqu’au moment où l’idéologie prend le pas sur son intelligence. C’est tout de même étonnant quand on y pense. C’est toujours la gauche, les syndicats de gauche, qu’on accuse de faire de l’idéologie, de ne pas se conformer aux réalités comme disent ceux qui font du bruit avec leur bouche sur les chaînes d’infos en continu.

Moi je n’ai rien contre l’idéologie, je serais même tenté de dire, j’assume mon idéologie. Je suis communiste. Ça veut dire que je porte en moi une certaine vision du monde : je pense par exemple que ceux qui produisent doivent être propriétaires et de leurs moyens de production, et de la production elle-même. Je pense aussi que l’égalité est le mot le plus important dans notre devise républicaine et que la liberté, comme dit Badiou, est là pour libérer l’égalité et non pas être la liberté du renard libre dans le poulailler libre. Quant à la fraternité, elle ne peut exister qu’entre égaux. Je pense aussi qu’il y a des choses qui sont des « communs ».

Nationaliser des kebabs n’aurait pas grand sens mais empêcher que l’éducation, les transports, la santé, l’énergie, le crédit, les retraites, la sécurité sociale, les grands secteurs industriels deviennent des entreprises privées, cela me semble indispensable. Alors oui, c’est une idéologie mais en face, eux aussi ont une idéologie. Elle s’appelle le libéralisme. Ils voudraient faire croire, Édouard Philippe le premier, que le libéralisme n’est pas une idéologie, que c’est l’ordre naturel des choses. Il serait donc naturel de travailler plus vieux pour moins d’argent. Philippe a même fixé un âge, 64 ans, qui a remis le feu aux poudres. Il se serait tu, ce serait peut-être passé.

Mais il a fallu qu’il montre un marqueur idéologique, en satisfaisant une revendication explicite du Medef. Et comme en plus, les libéraux ont réussi à prendre le contrôle de l’information (encore un domaine, pourtant, qui devrait appartenir à tous), ils peuvent répéter des mensonges jusqu’à ce qu’ils deviennent une vérité. Ils se présentent comme des champions de la démocratie mais ils emploient des méthodes totalitaires. Vous n’avez jamais eu autant de chaînes infos, de sites internet, de journaux, même gratuits ? Oui, mais le problème, c’est qu’ils disent tous la même chose, ils disent ce que veulent entendre les libéraux.

Et pour peu que la situation se tende, comme en ce moment, les journalistes deviennent franchement des petits soldats agressifs. Avez vous entendu, au hasard, la manière dont Fabien Roussel a été traité récemment par Sonia Mabrouk sur Europe 1 ? Il ne faisait plus face à une journaliste, il faisait face à une avocate .Et pour peu que la situation se tende, comme en ce moment, les journalistes deviennent franchement des petits soldats agressifs de Bernard Arnault. Sonia Mabrouk a le droit de ne pas aimer les communistes mais en tant que journaliste elle a le devoir de les traiter comme les autres.

Sonia Mabrouk était en plein combat idéologique, à cette différence près qu’elle n’avait même pas l’honnêteté de le dire. Encore une fois, on a le droit d’avoir une idéologie différente de la nôtre, mais pas celui de prétendre qu’on ne fait pas de l’idéologie. C’est un mensonge pur et simple. La réforme des retraites (il faudrait aussi penser à reprendre le contrôle émancipateur du mot « réforme » qui est un beau mot mais qui est devenu synonyme de régression), cette réforme est donc idéologique. On pourrait très bien la financer en taxant les actionnaires, en récupérant les sommes colossales de l’optimisation et de l’évasion fiscales. Ça aussi ce serait de l’idéologie mais une idéologie de gauche.

Le pire, c’est qu’en plus ça s’est vu. Que Jean-Paul Delevoye, chargé de l’architecture de la réforme comme ils disent, soit en plus un copain rémunéré des assureurs qui ne rêvent que d’une chose, mettre la main sur les 300 milliards de la retraite par répartition pour les transformer en fonds de pension et se sucrer au passage, et que ce même Delevoye ne soit pas viré illico presto, cela relève de la république bananière*. Donc maintenant, c’est clair, Macron, ce n’est pas Jupiter, c’est le général Alcazar. Caramba, encore raté !