Samedi soir, dimanche matin

par JEROME LEROY
Publié le 16 octobre 2020 à 10:49

C’était samedi soir, le 10 octobre, assez tard. Pour la première fois de la journée que j’avais passée à lire et à écrire, j’ai allumé la télé, histoire de faire un tour rapide sur les chaînes info. On annonçait 27 000 nouveaux cas de contamination à la Covid-19. Il y avait les habituels bavards. Le fameux taux de positivité s’établissait à 11 %. Un nouveau record. On sentait une certaine angoisse sur le plateau. Pour la première fois, depuis longtemps, on commençait à se rendre compte de la catastrophe en cours. On cessait de relativiser. En plus, en duplex, il y avait un médecin réanimateur d’Hénin-Beaumont. Pas un de ces toubibs médiatiques qui ne cessent, avec une obscénité anxiogène et infantile, de s’affronter sur des questions byzantines. Il était en colère, il était désespéré, il a même réussi à faire taire les habituelles remarques des éditorialistes habitués à couper les cheveux en quatre, voire en huit, à défendre l’idée que tout ça, ça allait passer, que ce qui comptait, c’était l’économie. Non, pour le coup, ils se taisaient, ils avaient peut-être honte. D’ailleurs on annonçait aussi le passage imminent de nouvelles métropoles en zone rouge écarlate. Et on montrait la une à paraître du Journal du Dimanche du lendemain : « La deuxième vague est bien là. » J’ai éteint la télé et j’ai pensé que je m’endormais dans un pays qui allait de nouveau connaître beaucoup de morts qui auraient pu être évitées si le système hospitalier n’était pas aussi désorganisé et si quelque chose de réellement significatif avait été fait pour y remédier pendant l’accalmie du mois de juin. J’ai aussi pensé à la fameuse phrase de Marx sur l’histoire qui se répète, une fois en tragédie, une fois en farce. Sauf que là, la répétition aussi était une tragédie. Mais dimanche matin, je me suis réveillé dans un pays qui avait changé comme par enchantement. Un pays en guerre. Et pas contre le virus, non, contre Champigny-sur-Marne. Un commissariat avait été attaqué au mortier. Un mortier, ma bonne dame, ah la la, où ça va s’arrêter tout ça ? On oubliait soigneusement tout de même de dire qu’il s’agissait de mortiers pour feu d’artifice, et que quelques voitures de pandores avaient été dégradées mais qu’on ne comptait aucun blessé. « Ouf ! » pensa Macron. « Ouf ! » pensa Darmanin ! « Ouf ! » pensa Véran ! « Ouf ! » pensa CNews et apparentés ! « Ouf ! » ne pensa pas Castex qui ne pense rien. On allait pouvoir parler de choses sérieuses et jeter, au moins pour quelques jours de plus, un voile pudique sur les 27 000 contaminations et sur la politique sanitaire la plus incohérente, la plus illisible, la plus cynique, la plus engluée dans le déni de toute l’Europe. Non, l’important, c’était cette attaque, sûrement des islamogauchistes mineurs non accompagnés qui venaient jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes. Rassurez-vous, malgré tout. En ce moment, quoi qu’on en dise à Beauvau et dans les salles de rédaction, en France, on intube beaucoup plus qu’on égorge.