Blanquer, ce virus

par JEROME LEROY
Publié le 20 mars 2020 à 11:41

Je pense qu’il faut lire la tribune de cette enseignante à propos de l’Éducation nationale qu’elle a écrite sous le pseudo d’Anna- Stéphanie Orluc dans Libé le 9 mars, avant les mesures prises contre l’épidémie par Macron le 12. Vous la trouverez aisément sur internet. Elle n’a pas perdu son actualité avec la fermeture des établissements. Qu’elle soit sous pseudo est révélateur. C’est le devoir de réserve des fonctionnaires, comme on dit, encore que cette tribune ne fasse que décrire une situation, pas la juger. Mais c’est bien connu, le premier qui dit la vérité sera exécuté, comme dans la chanson de Guy Béart.

Cette tribune parle du mépris, elle parle de l’insensibilité, elle parle de l’incompétence, elle parle du cynisme d’un système qui n’aime pas ceux qui travaillent pour lui, les profs, et ceux pour qui il devrait travailler, les élèves. On aura beau jeu ici et là de dire que, quand même, l’Éducation, c’est le premier budget de la nation.

Il faut croire que cela ne suffit pas ou qu’il est administré par des imbéciles qui pourraient, à l’occasion de cette épidémie, devenir des imbéciles criminels.

Il faut croire que la décentralisation qui a confié à quelques barons départementaux et régionaux la gestion des collèges et lycées est une belle arnaque, si on ne trouve pas suffisamment d’argent pour acheter du savon et de produits pour nettoyer des toilettes.

Il faut croire que la médecine scolaire comme la médecine du travail est une préoccupation pour le moins secondaire de la rue de Grenelle. J’ai dû avoir le droit à une radio des poumons en vingt- trois ans de boutique.

On est partagé entre la colère et la honte. Blanquer n’est jamais que l’ultime avatar de cette haute fonction publique de l’Éducation nationale qui a toujours considéré ses fonctionnaires de base comme des emmerdeurs geignards, des feignasses syndiquées. Il est, paraît-il, un « excellent connaisseur du système ». Alors, il est encore plus coupable.

Je voudrais que Blanquer passe une semaine à la place de la prof qui a écrit ce texte. Je voudrais que Blanquer ait honte. Moi, j’ai honte pour lui. Si j’ai été heureux, le plus souvent, d’exercer ce métier, c’est en dépit de ces gens-là, c’est contre eux. Blanquer, c’est tout et son contraire du moment qu’il peut montrer que c’est lui qui commande. On pourrait faire appel à l’humanité de Blanquer dont la première mission est tout de même de travailler pour l’humain et sur l’humain. Sa matière première, c’est tout de même l’enfance,l’adolescence, la jeunesse. La finalité de sa mission, c’est tout de même l’émancipation. Il semble que ce soit vain.

Qu’attendre d’un homme et qu’attendre de ceux qui, dans les rectorats et les bureaux de chefs d’établissement, ont toujours raisonné en termes de carrière, utilisent leur énergie à soumettre profs et élèves à des réformes aberrantes, pure- ment comptables, derrière le paravent de l’innovation pédagogique, en suscitant le moins de révoltes possibles ? Et quand ces révoltes éclatent quand même, de monter la population contre ses propres fonctionnaires, bref, l’exact envers d’un ministre de l’Intérieur.

Blanquer n’aime pas les profs, on le savait. Il n’aime pas non plus les élèves et particulièrement les lycéens, on s’en doutait, mais là, c’est indubitable. Je ne laisserai dire à personne que 17 ans est le plus bel âge de la vie, entre Parcoursup, les flics envoyés pendant le mouvement social, les E3C (épreuves communes de contrôle continu) et maintenant l’incohérence de Blanquer qui dit le matinqu’il maintient les écoles ouvertes car il est encore dans sa petite logique de pouvoir, qu’il ne comprend pas le danger ou pire, qu’il s’en fout, avant que Macron ne siffle le soir la fin de la partie.

On pourrait s’en moquer. Mais on ne peut plus faire comme si, au temps du Covid-19. On a juste envie d’oublier les gestes barrières un instant. Pas pour lui serrer la main mais lui rendre concrètement ce qu’il fait symboliquement chaque jour avec les élèves et les profs : lui cracher au visage.