Bonne année 2050

par JEROME LEROY
Publié le 3 janvier 2020 à 13:49

Agnès tenait la carte postale entre ses mains et elle essaya de ne pas pleurer en reconnaissant l’écriture encore maladroite de son fils Simon qui venait d’avoir sept ans. Il était en classe verte dans l’archipel des Flandres : il visitait avec son CE1 les îles du Mont Noir, du Mont Kemmel, du Mont des Cats. L’archipel des Flandres, où vivaient des communautés de pêcheurs autogérées, était devenu un nouvel écosystème qui réservait quelques jolies surprises : les langoustes de Saint-Jans-Cappel avaient désormais une réputation d’excellence chez les gastronomes.

Agnès regarda la date : 1er janvier 2050. Le cachet de la poste de port Yourcenar faisait foi. Les cartes postales… Leur retour était un de ces multiples petits signes de la décroissance soutenable mise en oeuvre aux USA par le Green New Deal de la charismatique présidente Alexandria Ocasio-Cortez qui en était à son cinquième mandat, mais aussi dans l’Union européenne par les différentes Commissions vertes et rouges élues au suffrage universel depuis la réforme institutionnelle de 2031. C’était la première fois que Simon partait de la maison. Un petit garçon du monde d’après qui ne connaissait que les nouvelles cartes de géographie, celles qui avaient par exemple transformé Armentières en port de mer ou qui montraient les rizières que l’on trouvait autour d’Arnhem, la nouvelle capitale des Pays-Bas.

Sept ans déjà… Les circonstances de la naissance de Simon n’étaient pas un bon souvenir. Il avait l’âge de la catastrophe. Le Grand Cyclone s’était abattu dans les derniers jours de mai 43 avec une violence terrifiante sur tout le Nord-Ouest de l’Europe et il avait redessiné la côte de Hambourg à Calais en quelques semaines, le Plan d’évacuation des populations du littoral (PEPL) qui avait été mis en oeuvre au milieu de la décennie 2030 ainsi que les modélisations informatiques très fines, grâce aux drones des Services météorologiques, avaient permis de limiter les pertes humaines à quelques milliers de morts dont beaucoup dans les émeutes ou les affrontements avec les pillards. Un véritable exploit quand on songeait aux millions de personnes déplacées en à peine un mois.

Agnès avait beau avoir été préparée depuis des années, cela avait été un choc quand l’armée et la Sécurité civile l’avaient fait monter enceinte avec son mari dans un convoi vers la métropole lilloise. Ils habitaient alors Dunkerque qui maintenant était devenue une Atlantide dont Agnès perdait chaque jour un peu plus le souvenir. Dunkerque engloutie, comme avaient été englouties Bruges, Gand, Ostende, Rotterdam, Amsterdam et Brême.

Agnès avait accouché au CHU de Lille transformé en un gigantesque hôpital de campagne. Avec son mari, il avait fallu reconstruire une nouvelle vie mais maintenant, ça allait. Le Grand Cyclone avait semblé d’autant plus injuste que la neutralité carbone avait été atteinte en 2038, notamment grâce à la nouvelle génération des puits Dacier-Blum qui absorbaient le CO2 et étaient devenus des éléments familiers du paysage : des champs de tours scintillantes, mauves et dorées, que l’on voyait dans les campagnes, sur les dunes mais aussi aux carrefours des axes routiers ou sur le toit des immeubles. Les derniers pics de pollution en Europe remontaient à cinq ans et les deux inventeurs, un Français et un Américain avaient réussi l’exploit de recevoir le prix Nobel de la Paix et celui de Physique en même temps.

Agnès acheva sa tasse de chicorée, production locale et circuit court, elle n’avait pratiquement jamais bu de café de sa vie et elle savait qu’elle ne prendrait pas non plus l’avion mais tout cela ne lui manquait pas. Elle trouvait à nouveau le monde vivable et il le serait aussi pour Simon. Elle regarda ce que représentait la carte postale : un chalutier solaire sur une mer du Nord au bleu égéen. Alors, Agnès lut enfin le texte, en souriant tendrement : «  Ici sa va bien. On a été à la paiche sur un batau comme sur la carte postal. Et j’ai manger du mérou grillé : c’est super bon. »

l Derniers ouvrages parus : Lou, après tout, tomes 1 et 2 (Syros )