Cause toujours, tu m’intéresse

par JEROME LEROY
Publié le 21 mai 2020 à 10:21 Mise à jour le 20 mai 2020

ll faut toujours faire attention aux mots. Ce n’est pas toujours facile. On s’aperçoit que tout le monde parle beaucoup, et beaucoup trop, souvent pour ne rien dire depuis le début de la pandémie. J’ai du mal à croire que la logorrhée des chaînes info et des talk shows, par exemple, ne masque pas une angoisse profonde chez ceux qui y participent. Parler jour après jour, sur des sujets dont personne ne sait rien.Se transformer en virologue, sociologue, logisticien, spécialiste de l’enseignement, de la pédagogie, de l’agriculture, des plages, des pistes cyclables. Avoir un avis sur tout et si possible très tranché. Les soignants pleurnichent, les profs sont des trouillards ou des feignasses, les Français ne pensent qu’aux vacances, le championnat de foot doit reprendre, les affreux de la CGT veulent tuer l’économie.

Parler jour après jour, quitte à se contredire : l’affaire du canal Saint-Martin a été à ce titre édifiante. Un rassemblement de webdesigners à fort pouvoir d’achat de moins de quarante ans qui ne voient pas pourquoi ils ne profiteraient pas du beau temps. Ils avaient déjà fait le coup pendant le confinement en pogotant sur du Dalida. Finalement, à leur âge, ils ne risquent pas grand chose et puis s’ils contaminent des vieux ou des insuffisants respiratoires, ils soutiendront les urgences re-submergées en applaudissant à 20 h pour montrer leurs belles âmes. D’habitude, ceux-là sont crucifiés sous le nom de bobos sur les plateaux. Et les voilà devenus tout à coup des héros de la liberté.

À titre personnel, et puisqu’il est question de mots, je n’emploie plus le terme de bobos. Il ne veut plus rien dire : il regroupe, à Paris, la bibliothécaire anar à 2 000 euros mensuel et le startuper à 40 000, celle qui vit dans une chambre de bonne et celui qui vit dans un loft. Devant le canal Saint-Martin, c’était juste une bourgeoisie hédoniste et dépourvue de tout sens civique, persuadée d’être antifasciste parce qu’elle a voté Macron à 90 % en 2017. Quand ceux-là sortent contre toute règle sanitaire, on appelle ça une fête. Quand d’autres sortent en Seine-Saint-Denis pour respirer, on appelle ça une émeute.

Dernière mini-polémique en date : le Puy-du-Fou, le son et lumière réac de Philippe de Villiers, le spectacle préféré de la France en pull bleu marine sur les épaules, reste fermé malgré sa localisation en zone verte. Grande émotion chez les amis d’une histoire de France où Robespierre est un tueur et Marie- Antoinette une sainte. Coup de téléphone furibard de Philippe de Villiers à Macron. Ils s’aiment bien tous les deux, paraît-il.C’est normal,l’un se prepour un monarque et l’autre les regrette. Un scénario bien connu a lieu. Macron a le beau rôle. Philippe le mauvais. Macron promet, Philippe gère. Macron dit : « Pas de problème, on rouvre . » Philippe dit : « On va attendre quand même, on va passer taper un cluster chouan en plein été. »Macron devient donc le héros des amis de la liberté de (se) contaminer, et Philippe le psychorigide paniquard.

C’est étonnant tout de même que Philippe se retrouve devant Macron dans les sondages. Il est vrai qu’on peut préférer un homme de droite qui ne se cache pas d’être de droite à un autre homme de droite qui se donne comme parangon du progressisme et de la modernité.D’ailleurs, parfois, les mots, encore eux, le trahissent, Macron. Prenons Sanofi : cette entreprise française est financée par nos impôts pour la recherche et annonce froidement que les Américains paient mieux et qu’ils seront servis les premiers. Macron s’indigne ou feint de s’indigner parce ce que là c’est gros et il dit, texto  :« Il est nécessaire que ce vaccin soit un bien public mondial, extrait des lois du marché. » Non, vous ne rêvez pas, ce que cette phrase dit inconsciemment, c’est que le bien public mondial est contradictoire avec les lois du marché. On ne s’attendait pas, à vrai dire, à un tel désaveu du libéralisme de la part d’un de ses plus zélés serviteur.